Dans un réquisitoire structuré et implacable d'environ quatre heures, Mathieu Vernaudon a commencé par s'adresser aux 750 anciens clients de cette société de conseil en patrimoine. Sept-cent-cinquante victimes, médecins, dentistes ou kinésithérapeutes, qui "n'ont pas à avoir honte d'avoir succombé à un processus extrêmement sophistiqué".
Beaucoup espéraient se constituer un patrimoine, préparer leur retraite avec ces achats censés s'autofinancer via le statut de loueur en meublé professionnel (LMP), fiscalement avantageux. Mais les espoirs de rentabilité se sont transformés en surendettements, interdictions bancaires et impossibilités de transmettre quoi que ce soit à leurs enfants.
"Des vies brisées, détruites, des projets balayés", a rappelé le procureur dans une salle des procès hors-norme du tribunal judiciaire de Marseille archi-comble.
"Apollonia vend du médecin à des promoteurs et des banques. Apollonia ne s'intéresse pas à l'intérêt de l'investisseur. Par contre, il est dans l'intérêt du promoteur que le prix de vente soit le plus élevé possible, que le taux d'intérêt soit le plus élevé possible, et que la commission d'Apollonia soit la plus élevée possible", a-t-il expliqué.
Pour lui, les médecins n'étaient pas les clients d'Apollonia mais ses produits : on les "chasse", on les "ficelle", via une "bible commerciale" extrêmement bien rodée et mise au point par Jean Badache.
Avec sa femme, Viviane, ils ont fondé cette société basée à Aix-en-Provence. Elle gérait l'administration, le montage des dossiers, dans lequel les banques, également parties civiles, ont été bernées. On maquillait l'endettement réel des victimes, qui "ne comprennent rien au droit, à la fiscalité", afin qu'elles acquièrent un maximum de lots, les conduisant inexorablement au surendettement.
Un seul mobile : l'argent
Pour le procureur, les époux Badache ont donc "la plus haute responsabilité" : "ils sont les organisateurs, les concepteurs et les bénéficiaires de l'escroquerie en bande organisée".
Bénéficiaires car ils ont mené grand train, voyages en jet privé, chalet en Suisse, palais à Marrakech, villa à Cassis. Et pendant le procès ils se sont défaussés sur les autres, leurs anciens commerciaux, leurs anciennes secrétaires et même sur les parties civiles, pour lesquelles ils n'ont eu que du "mépris", selon le magistrat.
Il a donc demandé au tribunal de les condamner à la peine maximale de 10 ans de prison avec mandat de dépôt immédiat, face au risque "très élevé" de fuite.
Il a requis en outre une amende de cinq millions d'euros contre le couple, soit 2,5 millions chacun, des confiscations dépassant les 19 millions d'euros et des interdictions d'exercer dans les domaines immobilier et financier ou de gérer une société.
Une autre amende de cinq millions a été requise contre la société Apollonia qui devra, pour le procureur, être dissoute.
Parmi les 12 autres prévenus, la peine la plus lourde -six ans de prison avec mandat de dépôt- a été requise contre l'un des quatre commerciaux en cause, François Melis, le "petit Badache" selon le procureur. Pour l'avocat de la société, René Spadola, "l'homme clé", il a demandé une peine de cinq ans avec mandat de dépôt et une interdiction d'exercer.
"Le mobile, c'est le même que pour tous les autres prévenus : l'argent !", a estimé le représentant du parquet.
S'agissant des trois notaires poursuivis dans cette affaire qui remonte aux années 2000, des peines allant jusqu'à cinq ans de prison dont trois ans avec sursis probatoire et un million d'euros d'amende ont été requises, avec là aussi une interdiction définitive d'exercer.
Des peines inférieures ont enfin été requises à l'encontre des secrétaires et du fils Badache, un temps "président de paille" d'Apollonia.
"Tout le problème d'Apollonia, c'est l'emprise sur les investisseurs", avait plaidé lundi matin Me Cécile Pion, qui représente 195 parties civiles avec Me Jervolino.
A partir de mardi, la parole sera à la défense, avant la fin vendredi de ce procès-fleuve qui dure depuis deux mois.