Pour les habitants du quartier de Sankt Pauli, dans la métropole du nord de l'Allemagne, le changement est d'abord visuel.
La masse carrée et grise est désormais surmontée de cinq étages arborés. Une rampe piétonne s'enroule autour du bâtiment et achemine les visiteurs jusqu'au sommet.
Un hôtel de 134 chambres a ouvert dans la partie surélevée, inaugurée en juillet. S'y ajoutent un espace pouvant accueillir plus de 2.000 spectateurs, des salles et des parterres de jardinage à disposition des associations locales.
"L'idée d'un rehaussement avec de la verdure était d'ajouter quelque chose de pacifique et de positif à ce bloc massif issu de la dictature nazie", explique Anita Engels, l'une des responsables de l'association de quartier Hilldegarden qui a accompagné le projet.
Près de 80 ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale, l'Allemagne n'en a pas fini avec l'héritage architectural de l'époque nazie.
Le bunker de Sankt Pauli fait partie des plus encombrants, à tous les sens du terme : près de 40 mètres de hauteur à l'origine, des murs extérieurs de 2,5m d'épaisseur, un toit renforcé de 3,5m de béton armé. Une forteresse de 76.000 tonnes.
Propagande
Il compte parmi les huit "Flaktürme", ou complexes de défense antiaérienne, qu'Hitler avait fait ériger sur le territoire du IIIème Reich.
"Avec la portée de leurs canons, elles devaient protéger, à Berlin le quartier du gouvernement, à Hambourg les installations du port, à Vienne le centre historique cher à Hitler", explique l'historien Michael Foedrowitz.
Ces édifices monumentaux offraient aussi un abri aux habitants tout en "servant la propagande" sur la puissance du pouvoir hitlérien, souligne-t-il.
Seule la Flackturm du zoo de Berlin a pu être totalement détruite après la guerre, les quantités d'explosif nécessaires s'avérant trop dangereuses en zone urbaine.
A Hambourg, celle dite "IV" a déjà connu plusieurs vies. Des appartements y ont été aménagés après le conflit pour ceux qui n'avaient plus de toit puis des entreprises du secteur des médias et de la publicité y ont déménagé dès les années 1950.
Le lieu accueille toujours dans les étages inférieurs un club apprécié des noctambules, une radio, une salle d'escalade.
"Mais cela n'a pas conduit à ce que l'histoire du bunker soit racontée, à ce qu'il y ait une réflexion critique. Il n'y avait pas même un panneau à l'entrée", souligne Anita Engels.
"Verrue moche"
Avec le projet de surélévation lancé en 2019 par la ville, associée à des partenaires privés, l'association Hilldegarden a pu mener ce travail de mémoire, recueillant documents et témoignages de "ceux qui ont vécu dans le bunker pendant et après la guerre" ou sur les centaines de travailleurs forcés qui durent construire cette forteresse en 300 jours, en 1942.
Au premier étage, une exposition présente désormais l'histoire du lieu. Elle sera agrandie et traduite en plusieurs langues.
"A Berlin, on a compté jusqu'à 60.000 civils réfugiés dans une paire de tours prévue pour environ 30.000 personnes. La taille d'une petite ville", souligne Michael Foedrowitz.
Le complexe de Sankt Pauli a accueilli jusqu'à 25.000 civils, notamment pendant les bombardements alliés de l'opération Gomorrhe, en juillet 1943, qui ravagèrent Hambourg.
Autant d'informations que décrypte Brigitte Schulze, une retraitée de 72 ans venue visiter la tour réaménagée : "c'est bien de garder une trace de cette histoire, d'autant que les témoins disparaissent. Et le cadre est agréable avec le parc et les arbres".
Habitante des environs de Hambourg, elle n'avait jamais eu l'idée de venir au bunker "qui n'était qu'une verrue moche", selon elle. Il a attiré plusieurs milliers de visiteurs en un mois d'exploitation.
La seconde Flackturm de Hambourg a été convertie il y a quelques années en mini-centrale produisant de l'électricité à partir d'énergies renouvelables.
Pour deviner celles de Berlin, il faut regarder les collines artificielles de deux grands parcs de la ville au milieu desquels elles ont été ensevelies.