Jean-Denis Combrexelle a remis au Premier ministre et à Myriam El Khomri son rapport intitulé "La négociation collective, le travail et l’emploi". Ce rapport propose de changer de logique en faisant davantage confiance à la négociation au sein des branches et au sein des entreprises et en élargissant leur place dans le droit du travail.
En février, Manuel Valls annonçait aux partenaires sociaux qu’il souhaitait engager une réforme pour donner à la négociation collective une place plus grande dans notre système de relations professionnelles, et demandait à Jean-Denis Combrexelle, l’un des meilleurs connaisseurs du droit du travail et des relations sociales en France, d’élaborer des propositions.
« C’est un fait : notre code du travail est devenu un ensemble trop complexe, parfois même illisible, avec des dispositions qui se sont accumulées au fil des années. Conséquences : les salariés ignorent leurs droits ; les petites entreprises, celles qui n’ont pas de moyens juridiques, rencontrent les plus grandes peines à maîtriser les règles », a rappelé ce mercredi 9 septembre le Premier ministre en recevant le rapport de Mr Combrexelle.
« Les règles qui régissent la vie des salariés et des entreprises doivent être définies au plus près des besoins », a–t-il ajouté.
Pour élaborer ce rapport, Jean-Denis Combrexelle s’est appuyé sur un groupe de travail composé d’experts et de praticiens, d’économistes et de juristes, français et étrangers. En outre, une trentaine d’auditions ont été organisées, en particulier avec les partenaires sociaux.
Dépasser un faux consensus
En apparence, tous les acteurs, responsables et commentateurs, sont d’accord : il faut développer le dialogue social et plus particulièrement l’un de ses outils privilégiés, l’accord collectif signé entre des partenaires sociaux représentatifs. Le dialogue social est présenté comme le point de convergence qui permettrait d’assurer l’efficience économique et le progrès social.
En pratique, ce consensus repose en fait sur des malentendus et reste superficiel, notamment en raison de la complexité des règles qui s’appliquent. Mal comprise, la négociation sociale apparaît à beaucoup comme dépassée dans un contexte de crise et d’ « ubérisation » de notre économie.
L’objet du présent rapport n’est donc pas de se borner à une réflexion sur le droit de la négociation collective et l’éventuelle modification de tel ou tel article du code du travail, mais de montrer comment faire évoluer la négociation collective pour en faire un bon outil de régulation économique et sociale. Il faut sortir d’une logique purement juridique, formelle et institutionnelle, trop fréquente dans notre pays, pour donner très concrètement aux acteurs le goût, la volonté et la capacité, non de négocier, puisqu’ils le font déjà, mais de faire de la négociation un véritable levier de transformation au service de l’emploi et de la compétitivité des entreprises.
Les freins actuels à la négociation
Le bilan de la négociation montre que la France est un pays qui a fait le choix, par différentes réformes législatives, et surtout depuis une quinzaine d’années, d’élargir très fortement le champ de la négociation collective.
Si le bilan quantitatif de la négociation est positif, avec un nombre élevé d’accords signés, le bilan qualitatif est plus discuté et on ne peut que constater et regretter que les partenaires sociaux ne se soient pas plus saisis des possibilités qui leur ont été données par ces réformes successives.
Dans les faits, les freins sont nombreux :
- le renvoi à la négociation fait souvent l’objet d’un procès en légitimité, notamment de l’ensemble des acteurs qui élaborent, commentent et contrôlent la norme législative. Non pas parce que l’État souhaiterait à tout prix imposer des normes à la société civile et faire « grossir » encore le code du travail. Mais parce que tous les acteurs souhaitent, à chaque étape de l’élaboration de la norme, la sécuriser un peu plus en la détaillant ;
- pour les employeurs, la négociation est davantage perçue comme une contrainte et un coût que comme un levier de performance ;
- pour les acteurs syndicaux, la négociation collective est difficile à mener dans un contexte de crise et d’absence de « grain à moudre ».
Créer une dynamique de la négociation
Ce rapport aborde la question des acteurs et des moyens de la négociation avant celle de l’architecture juridique des accords. Il ne s’agit pas d’un choix de confort visant à évoquer des sujets réputés vagues et consensuels sur les pratiques de la négociation pour retarder l’heure de traiter des questions réputées plus délicates sur le droit de la négociation collective.
Donner plus de place à la négociation, d’entreprise ou de branche, est d’abord un enjeu de dynamisation des comportements avant d’être celui d’une articulation de différentes sources de normes.
Propositions
- Élaborer une pédagogie de la négociation collective démontrant le caractère rationnel et nécessaire de celle-ci dans un contexte concurrentiel et de crise économique et établir une confiance réciproque.
- Agir sur les représentations, notamment à travers des actions de sensibilisation, formation, organisation des DRH, pour valoriser le dialogue social.
- Faire évoluer les conditions de la négociation et ses « règles du jeu » : les accords de méthode doivent être un préalable à la négociation.
- Importance du « facteur temps » : agir sur le tempo de la négociation, limiter la durée des accords de branche et d’entreprise, revoir les règles de révision et d’évolution dans le temps des accords, encadrer dans le temps les conditions de recours judiciaire contre les accords collectifs.
- Améliorer l’intelligibilité des accords, faciliter leur compréhension et interprétation, définir les conditions de l’information directe des salariés sur le contenu des accords, partager la connaissance sur la négociation collective.
- Confirmer le rôle de garant de l’État (comme accompagnant la négociation et garant de la légalité des accords) : maintien de la procédure d’extension des accords de branche, possibilité de contrôle de la légalité des accords d’entreprise mais limitation des sujets soumis à la « négociation administrée ».
- Mettre en valeur les pratiques de dialogue social informel.
Ouvrir de nouveaux champs à la négociation
La question n’est pas de fixer une taille idéale du code du travail mais de réfléchir à une nouvelle architecture assurant la complémentarité et les équilibres entre les différents modes de régulation.
Le principe général est de donner davantage d’espace à la négociation collective. Cela ne passe pas systématiquement par une extension explicite d’un domaine à la négociation collective au détriment de la loi.
Le code du travail, dans sa rédaction actuelle, se caractérise par une grande complexité de la loi où il est bien difficile de déterminer, sur un sujet donné, la marge de manoeuvre qui est laissée aux négociateurs d’un accord de branche ou d’entreprise.
La simple clarification et rationalisation des textes passant par une séparation entre ce qui relève de l’ordre public, du renvoi à la négociation et du supplétif sera parfois suffisante pour donner une respiration bienvenue au dialogue social et à la négociation. Il y a là une rupture par rapport au mode d’élaboration du code du travail qui a caractérisé ces dernières décennies. Dès lors, tout ne peut être fait d’un seul coup, il faut prioriser.
Propositions
- Réguler la production de normes législatives : fixer un agenda social annuel et supprimer une disposition devenue obsolète pour toute nouvelle disposition adoptée.
À court terme (2016) :
- Après concertation avec les partenaires sociaux, clarifier et élargir le champ de la négociation sociale dans les domaines des conditions de travail, du temps de travail, de l’emploi et des salaires (ACTES) en donnant la priorité à l’accord d’entreprise. Par exemple : pour les conditions de travail, élargir le champ de la négociation sur les modes d’organisation du travail et de management ; pour le temps de travail, envisager, dans un cadre défini par la loi, d’ouvrir la négociation sur le seuil de déclenchement des heures supplémentaires et sécuriser les forfaits/jours ; pour l’emploi, permettre la négociation sur les conditions d’embauche et les dispositifs de transitions professionnelles ; pour les salaires, clarifier les possibilités de négociation sur le partage de la valeur ajoutée.
- Sous la réserve de la définition des ordres publics législatifs et conventionnels de branche, dans ces quatre domaines, l’accord d’entreprise s’applique en priorité ; à défaut s’appliquent les stipulations supplétives de l’accord de branche ; à défaut d’accord collectif d’entreprise ou de branche s’appliquent les dispositions supplétives, qualifiées explicitement comme telles, du code du travail. Bilan de la mesure dans quatre ans.
- Ouvrir à la négociation de nouveaux champs des relations sociales : responsabilité sociale des entreprises (RSE) et, avec un mandat de la loi, économie digitale.
- Définir les missions des branches : préciser ce qui relève de l’ordre public conventionnel, définir des stipulations supplétives s’appliquant en l’absence d’accord d’entreprise, proposer des prestations de services notamment vis-à-vis des TPE (accords-type), accompagner la négociation des PME, organiser la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences au niveau de la branche.
- Prévoir un mécanisme de fusion des branches qui représentent moins de 5 000 salariés avec une convention collective d’accueil, dans un délai de trois ans.
- Faire prévaloir, dans l’intérêt général et l’intérêt collectif des salariés, les accords collectifs préservant l’emploi sur les contrats de travail.
- Généraliser le principe de l’accord majoritaire d’entreprise à compter de 2017.
- Maintenir le principe de la concertation préalable prévu par l’article L.1 du code du travail avec faculté de choix pour les partenaires sociaux entre recours à un accord national interprofessionnel ou « position commune ».
- Assimiler les accords de groupe aux accords d’entreprise et prévoir que les accords de groupe organisent l’articulation accords de groupe/entreprises/établissements.
- Donner la faculté, par accord majoritaire, de regrouper en deux catégories de thèmes la négociation des accords d’entreprise (avec périodicité quadriennale).
- Accorder une reconnaissance législative aux « dispositifs territoriaux négociés » et expérimenter les accords de filières. Mettre en valeur les bonnes pratiques des accords transnationaux.
À long terme (quatre ans) :
- Nouvelle architecture du code du travail, pour distinguer sur l’ensemble des dispositions ce qui relève de l’ordre public, du renvoi encadré à la négociation collective et ce qui relève du supplétif en l’absence de négociation.
- Réforme constitutionnelle : inscrire dans le préambule de la Constitution les grands principes de la négociation collective.
Téléchargez le rapport complet sur "La négociation collective, le travail et l'emploi"
travail-emploi.gouv.fr