"Quand il y a de grandes filières qui doivent être soutenues, nous devons nous engager. En ce moment, c'est le cas pour la filiale ferroviaire avec Alstom", a déclaré le chef de l'Etat lors d'un déplacement dans les Yvelines dans l'après-midi.
Le cap avait été fixé dès le matin à l'Elysée, en présence des ministres concernés (Economie, Industrie, Transports). "Le président nous a fixé un objectif, celui de faire en sorte qu'à Belfort les activités ferroviaires d'Alstom soient maintenues", a déclaré Michel Sapin après la rencontre.
"Je pense que cet objectif est possible (...) c'est la responsabilité d'Alstom de le tenir", a réagi l'ancien ministre de l'Industrie Emmanuel Macron. M. Macron, qui avait promis "zéro licenciement" au printemps 2015 lors d'une visite à Belfort, a répété que la décision prise par le groupe avait été "soudaine, brutale, et inattendue".
Selon M. Macron, "il y a d'autres manières de gérer ces surcapacités et en particulier l'Etat, compte tenu de sa place dans la commande publique, compte tenu de son rôle pour Alstom, est évidement un partenaire indispensable".
En début de soirée, le secrétaire d'Etat aux transports Alain Vidalies a assuré que Belfort allait rester un site de production "dans les mêmes proportions qui existent aujourd'hui". Il a jugé la décision d'Alstom "d'autant plus incompréhensible que nous sommes dans l'attente de décisions" pour plusieurs appels d'offres.
L'arrêt de la production de trains sur le site historique de Belfort d'ici à 2018, annoncé par Alstom mercredi dernier, est devenu un enjeu national à huit mois de l'élection présidentielle.
Le groupe prévoit de transférer la production de locomotives à Reichshoffen (Bas-Rhin), sans fermeture de site ni plan social, en proposant aux 400 salariés concernés des postes dans d'autres usines françaises.
Accusé de négligence d'un bord à l'autre de l'échiquier politique, l'exécutif a tenté de reprendre la main en convoquant jeudi dernier le PDG d'Alstom, Henri Poupart-Lafarge, pour lui imposer "une phase de négociation (..) avant toute décision définitive".
Après avoir rencontré lundi soir le secrétaire à l'Industrie Christophe Sirugue, le député-maire de Belfort, Damien Meslot (LR), et la présidente de région Bourgogne-Franche-Comté, Marie-Guite Dufay (PS) ont souhaité que "les promesses se transforment rapidement en actes concrets". Ces élus ont averti qu'ils allaient "continuer à se battre tant que la direction n'aura pas annoncé le maitien du site Alstom de Belfort". M. Sirugue verra mardi les représentants syndicaux du groupe.
Selon M. Sapin, l'idée est de "travailler avec ceux qui, en capacité de passer un certain nombre de commandes en France, peuvent assurer le plan de charge qui permettra de sauver les activités ferroviaires d'Alstom à Belfort".
"ça fermera quand même"
"Nous allons simplement expliquer que notre intérêt commun, à la SNCF, à la RATP, aux régions, c'est de maintenir une filière ferroviaire forte", a dit lundi M. Sirugue. Le pari est délicat alors que ces marchés publics font normalement l'objet d'appels d'offres ouverts à des concurrents étrangers souvent moins chers.
A Belfort, la mobilisation express du gouvernement n'a pas convaincu les salariés d'Alstom. "L'influence des politiques sur les groupes privés, on voit ce que ça a donné avec Florange", rappelle l'un d'eux. "C'est le moment des élections et ils sont tous pareils. Ils vont tous venir faire les beaux, et finalement, ça va fermer quand même", dit un autre salarié.
A l'inverse, André Fages, délégué syndical CFE-CGC du site franc-comtois, estime qu'"avoir une réaction aussi claire (...) de François Hollande, c'est quelque chose de positif".
L'Etat, qui détient 20% des droits de vote d'Alstom depuis février, grâce à des actions prêtées par Bouygues, s'est pour l'heure seulement engagé à acheter 30 nouveaux trains Intercités.
Mais ces commandes profiteront à d'autres usines d'Alstom, et "ne seront malheureusement pas la solution pour l'avenir de Belfort", avait reconnu vendredi dernier M. Vidalies.
Le groupe compte aussi sur le mégacontrat du RER "nouvelle génération", qui doit être attribué avant la fin de l'année par la SNCF et le Syndicat des transports d'Ile-de-France (Stif). Ce marché est crucial pour son usine de Valenciennes, la plus grande en France avec 1.250 salariés.
Alstom espère enfin décrocher de nouvelles commandes pour la 5e génération de TGV, développée avec la SNCF d'ici fin 2017. De quoi peut-être sauver Belfort, si l'usine est maintenue jusque-là.
Les éditorialistes fustigent l'exécutif pour la conduite du dossier Alstom
"L'État est présent au capital d'Alstom, à hauteur de 20%, ce qui lui donne une responsabilité", rappelle Laurent Bodin de l'Alsace. "Avec un train de retard, l'exécutif a enfin réagi", déplore-t-il.
"On voit un exécutif découvrir sur le tard que l'État s'est fait blouser par un groupe international. Maintenant, il veut rattraper le train", s'indigne Patrice Chabanet, du Journal de la Haute-Marne. On voit surtout "une absence criante d'anticipation", assène Dominique Garraud, de la Charente Libre.
Jean-François Laville, dans l'Est éclair, assure que "les informations permettent d'affirmer que l'État était parfaitement au courant de la situation" et que "des courriers d'alerte ont été envoyés depuis des mois au ministre de l'Économie, un certain Emmanuel Macron".
"Il paraît difficile d'imaginer que l'État, certes seulement actionnaire minoritaire, découvre une situation connue de tous", reconnaît Philippe Marcacci, de l'Est Républicain. Et d'ajouter: "des leviers existent. Pourquoi avoir attendu le terminus pour les actionner ?"
Pour Jean Levallois, de la Presse de la Manche, "cette émotion sincère, accompagnée d'une évidente surprise ne peut tout de même pas faire oublier qu'avec 20% du capital, les représentants de l'État siègent au conseil d'administration. La surprise émue n'est donc qu'un mensonge pour trouver une contenance."
'Sans voix et sans voie'
La réponse de l'État "arguant l'ignorance du dossier bien qu'étant principal actionnaire avec 20% du capital, laisse sans voix. Et sans voie", ironise Paul Caraci, du Midi Libre.
Xavier Brouet, du Républicain lorrain, hésite entre "désintérêt et incompétence", "vacance du pouvoir ou amateurisme" devant "l'ampleur de ce fiasco". Bertrand Meinnel, du Courrier picard, a choisi. Pour lui, ce dossier Alstom est "une nouvelle marque de l'incompétence de l'État actionnaire d'entreprise".
"Si l'État ne peut pas tout, l'on pourrait au moins attendre de lui qu'il exige un peu de cohérence entre les entreprises dont il est actionnaire", conclut Bruno Dive, dans Sud-Ouest.
Le Medef dénonce une "posture" du gouvernement
Le numéro un du Medef, Pierre Gattaz, a dénoncé mardi une "posture" du gouvernement au sujet d'Alstom qui avait selon lui "tiré la sonnette d'alarme depuis des années" sur la situation de son usine de Belfort, et mis en garde contre des "commandes artificielles" .
"Je suis choqué de voir les cris d'orfraie sur le sujet", a déclaré M.Gattaz lors de sa conférence de presse mensuelle. "Je crois savoir qu'Alstom, notamment à Belfort, a tiré la sonnette d'alarme depuis des années", a-t-il souligné.
"Nos politiques font semblant de découvrir qu'il y a un problème", a-t-il affirmé. "Posture, je dirais jeu de rôle, comédie", a-t-il ajouté. "J'attends que le gouvernement soutienne, accompagne les entreprises françaises dans leur attractivité, leur compétitivité en France", a dit le patron des patrons, qui a appelé une nouvelle fois à une fiscalité et un marché du travail plus compétitifs pour faire venir "davantage d'investisseurs" dans l'Hexagone.
Par ailleurs, "il faut accompagner nos salariés dans l'emploi, dans leur formation permanente, dans leur mobilité", a-t-il estimé.
M. Gattaz a par ailleurs mis en garde contre la tentation de passer au groupe des "commandes artificielles" pour permettre au site de Belfort de maintenir ses emplois.
"Vous avez deux types de commandes : des commandes dont vous avez vraiment besoin et là bravo, (...) ou alors des commandes artificiellement créées, et là c'est catastrophique", a déclaré le président de la principale organisation patronale.
Soulignant que pousser la SNCF à passer commande à Alstom risquait de poser un "petit problème juridique", M. Gattaz a observé que cela représenterait aussi "des impôts supplémentaires" pour les Français.