Sur un terrain désertique et battu par les vents, le mémorial de 210 mètres de long, 20 m de large, 4 m de haut aux parois de béton ocre, occupe l'emplacement de l'ancienne place d'armes d'un camp militaire, devenu à partir de 1941 lieu de regroupement d'abord de républicains espagnols, puis de juifs et de Tsiganes envoyés ensuite dans les camps de la mort, et enfin de harkis après l'indépendance de l'Algérie.
"Ce qui les réunit tous, c'est la notion de populations indésirables", analyse l'architecte pour lequel "la période du drame majeur est celle de l'internement de juifs après les rafles dans le sud-est de la France, non occupé par les Allemands".
C'est "une collaboration 100% française", s'indigne l'architecte. "Des Juifs français dont la préfecture avait fait l'inventaire, puis avait envoyé les gendarmes pour les mettre dans le camp avant que la SNCF ne les transporte dans des fourgons à bestiaux pour les envoyer à Drancy, à Auschwitz".
"C'est un contexte que l'on ne peut pas ignorer lorsque l'on construit ce projet. Il renvoie à sa propre responsabilité politique", estime M. Ricciotti. Et "dans ce contexte, je n'envisageais pas de faire comme si j'étais ignorant des faits".
A Rivesaltes, "on ne peut pas être dans le dandysme, dans la transparence comme illusion de la démocratie. On ne peut pas être dans le bling-bling", ajoute-t-il.
Pour son premier mémorial, l'architecte du MuCem, magnifique édifice de dentelles de béton en front de mer à Marseille, a voulu "un bâtiment qui incarne la rencontre qui n'a pas eu lieu sur ce site, celle des Français avec l'histoire de ce camp". Car "ce qui m'a frappé, c'est la notion de disparition du site, d'effacement. Il est absent comme est absente la mémoire de ce lieu. Il faut rappeler la mémoire de ce lieu", insiste l'architecte. Ce bâtiment "qui est là pour prendre les coups à la place des absents", selon son concepteur, "est posé comme un monolithe qui est un peu lourd sur la conscience".
"Vers l'espoir"
Légèrement enfoui au milieu des anciens baraquements très dégradés du camp, le mémorial auquel le visiteur accède par une rampe partiellement enfouie dans la terre, n'a aucune fenêtre donnant sur l'extérieur.
A l'intérieur, les lieux d'exposition sont éclairés à la lumière artificielle et les espaces de travail par des patios intérieurs. "C'est un monolithe fermé qui n'est ouvert que vers le ciel (...) lorsque l'on est dedans, la seule vue que l'on ait, c'est vers le ciel, vers l'espoir", souligne M. Ricciotti.
En revanche, l'intérieur du bâtiment "c'est l'inverse de ce que l'on voit du dehors, pour créer une tension", explique-t-il. Il a voulu un intérieur "chaleureux pour que ce mémorial vive. Un écrin".
A proximité du mémorial, les anciens bâtiments militaires n'ont pas été restaurés. "Je n'ai surtout pas voulu toucher aux baraquements" , environ 80, laissés en l'état. "J'ai refusé de les restaurer. Restaurer c'était effacer l'ancienneté".
Pour témoigner de "la mémoire enfouie", Rudy Ricciotti a bâti le mémorial légèrement enfoncé dans le sol "de sorte que le point le plus haut ne dépasse pas le point le plus haut des baraquements". Il s'agissait "d'éviter qu'il y ait une domination verticale".
Le mémorial a une vocation scientifique, artistique et culturelle. Un centre de documentation, cinq salles pédagogiques, des salons de lecture et salles d'exposition accueillent le public, les enseignants et les chercheurs.
Un auditorium a été installé pour les colloques. Le premier aura lieu début 2016 sur le thème de la transmission et de la mémoire collective.
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