Avec son projet de loi sur le travail, le gouvernement avait "créé la surprise au démarrage, et puis ça a fait pschitt", estime Anthony Streicher, co-fondateur de la société HA+PME. Comme lui, de nombreux petits patrons ne cachent pas leur désillusion, se sentant mis à l'écart dans la nouvelle version du texte.
Pour M. Streicher, dirigeant d'une entreprise de mutualisation des achats à destination des petites et moyennes entreprises (PME), qui emploie 18 personnes à Montigny-le-Bretonneux (Yvelines), "tout ce qui était avancé pour un artisan, une TPE (très petite entreprise), une PME, a disparu".
"Essayer de clarifier et de mettre des normes au niveau prud'homal sur les licenciements requalifiés comme licenciements abusifs, essayer de mettre un plafond, donner un peu de prévisionnel aussi bien pour les patrons que pour les collaborateurs des entreprises, c'était une avancée", juge-t-il.
De même, la possibilité qui était offerte dans la première version du projet de loi aux chefs d'entreprise de discuter avec leurs employés du temps de travail autour d'une table était aussi une bonne chose.
"Mais là, il n'y a plus tout cela", regrette-t-il, une pointe d'amertume dans la voix, estimant qu'à l'inverse, "on n'a fait que complexifier les choses".
Pourtant, contrairement à de nombreux chefs de petites entreprises, ce patron est en phase d'embauche active. "On a recruté quatre personnes depuis janvier", disant vouloir embaucher prochainement trois personnes de plus pour pouvoir faire face à la croissance de sa société.
Mais si l'on arrivait à avoir "plus de visibilité", "au lieu d'embaucher trois personnes, je pourrais peut-être en embaucher quatre, cinq ou six", estime-t-il.
Le plafonnement obligatoire des indemnités prud'homales en cas de licenciement abusif aurait permis selon lui d'y voir un peu plus clair.
Finalement, ce plafond est supprimé dans le nouveau texte, remplacé par un barème "indicatif" à l'attention des juges.
"Le problème, ce ne sont pas les prud'hommes en tant que tel", déclare M. Streicher, lui-même en procès depuis trois ans avec une ancienne collaboratrice qui réclame à la société 27.000 euros d'indemnités pour "harcèlement".
Complexité de la loi
"Le problème, c'est la complexité de la loi. Quand vous avez plus de 3.800 pages (dans le Code du travail, NDLR), comment voulez-vous être sûr et certain, si vous êtes un artisan, une TPE, une PME, que vous avez bien respecté la bonne procédure ?", s'interroge-t-il.
Pour un patron, il est important lorsque l'on embauche de "connaître le contrat de départ" dans l'entreprise, mais aussi "le contrat de sortie".
"Dans les procès aux prud'hommes, à 60 ou 70%, ce sont des problématiques de procédures, pas de fond", affirme de son côté Anouk Déqué, dirigeante d'une agence de communication d'une dizaine d'employés à Toulouse.
"Comment voulez-vous qu'un chef d'entreprise de dix salariés sache tout sur la façon de mener un entretien professionnel, de gérer le compte pénibilité, sache comment il faut faire des entretiens d'activité ?".
"Quand on est une PME, on n'a pas de service de ressources humaines, pas de direction juridique", renchérit Jean-Michel Lagarde, directeur général de Meljac, une société parisienne de 65 personnes fabriquant des interrupteurs de luxe.
"Rentrer dans des problématiques pareilles qui ne sont pas notre quotidien, c'est extrêmement lourd, et c'est coûteux de se faire accompagner, quelle que soit l'issue sur une rupture de contrat", explique-t-il.
Sur le temps de travail, le dirigeant regrette aussi que le projet de loi réduise le champ laissé aux décisions unilatérales des petits patrons.
"Est-ce que vous imaginez un dirigeant de PME qui n'a pas de représentant syndical dans son entreprise (...) aller dire à un salarié +va appeler un syndicat pour qu'on puisse négocier+?. Je ne connais pas un patron qui fera ça".
Pour le directeur général, le nouveau texte ne "sert à rien". "Si on en reste là, ça ne change pas grand chose", estime-t-il, disant toutefois craindre des reculs supplémentaires pour satisfaire les mécontents à l'approche de la présidentielle.
"J'espère que ce ne sera pas : au lieu d'avancer d'une case, on recule de trois", conclut-il.