L’épisode TotalEnergies s’ajoute à d’autres épisodes récents - Coupe du monde 2022 au Qatar, Apple, Amazon - lors desquels les calculs carbone publiés par les organisations sont remis en cause. Cela vient nous rappeler que la pratique de la comptabilité carbone a encore du chemin à parcourir en termes d’harmonisation et de transparence.
Rappel des faits
Après étude du bilan carbone de TotalEnergies et en le comparant à celui de son concurrent Shell (beaucoup plus élevé que celui de TotalEnergies) Greenpeace a décidé de recalculer le bilan carbone 2019 du pétrolier français.
Résultat : 1637 millions de tonnes de CO2. 4 fois plus que les 469 millions de tonnes CO2 calculés par TotalEnergies.
TotalEnergies déclare se conformer à la méthodologie du GHG Protocol. L’entreprise admet elle-même faire des exclusions, mais semble se défendre en disant qu’elles sont légitimes.
Ce que ni Greenpeace ni TotalEnergies ne disent clairement, c’est que la différence de calcul est expliquée en grande partie par l’exclusion d’une activité de TotalEnergies du périmètre de calcul.
En l’espèce, TotalEnergies déclare dans un article des Echos ne pas inclure l’activité de trading qui consiste à acheter et revendre sur le marché, des barils produits par d’autres. Total s’en était d’ailleurs bien sorti en 2020 en plein Covid grâce aux bénéfices de l’activité de trading : acheter des barils à prix bas, les stocker, puis les revendre sur des contrats futures au-dessus du prix d'achat.
Ces émissions exclues par Total comptent théoriquement dans les catégories 1 et 11 du Scope 3 :
- Catégorie 1 : “Purchased goods and services”. On compte les émissions liées à la production de ces barils achetés.
- Catégorie 11 : “Use of sold products”. On compte les émissions liées à la combustion des barils vendus.
La méthodologie est donc claire sur le fait que ces émissions rentrent dans le Scope 3 de TotalEnergies.
En effet, l’entreprise achète des millions de barils produits par d’autres et les revend pour faire des bénéfices. TotalEnergies pourrait décider de faire du trading sur d’autres actifs. Mais en choisissant de développer une activité de trading massive sur le pétrole, TotalEnergies facilite les émissions liées à la production et consommation de ces barils. Ne pas l’inclure dans son bilan carbone reviendrait à occulter ce pan de son activité pourtant important dans son plan d’action pour le climat.
Renforcer la crédibilité de la comptabilité carbone
Un enjeu majeur se pose derrière cette guerre des chiffres : Comment renforcer la crédibilité de la comptabilité carbone ?
Harmoniser les pratiques
Il existe aujourd’hui deux grandes méthodes de calcul des émissions carbone avec en l'occurrence la méthode française Bilan Carbone et la méthode internationale GHG Protocol. Ces méthodes, toutes deux qualitatives et se reposant sur des travaux de recherches importants, peuvent avoir des approches différentes selon les émissions analysées.
Mais au-delà du choix de la méthode, l’exemple TotalEnergies le montre très bien ici, c’est la compréhension et l’usage de la méthode en elle-même (ici GHG Protocol) qui pose problème. Le même cas de figure a eu lieu récemment après la publication d’un rapport de Carbon Market Watch remettant en cause le bilan carbone calculé par les organisateurs de la coupe du monde de football 2022 au Qatar. Ou encore au sujet d’Apple qui oublie de comptabiliser une partie de son Scope 3.
Face à ces polémiques, les professionnels de la comptabilité carbone se doivent d’agir collectivement et rapidement afin d’harmoniser les différentes pratiques. Le diable se cachant dans les détails, les méthodologies doivent évoluer vers un cadre pratico-pratique plus poussé pour éviter ce genre de situations.
Ces professionnels, qu’ils travaillent dans les grands cabinets de conseil - EY, KPMG, Deloitte, dans les cabinets spécialisés - Carbone 4, South Pole, Ecoact - ou au sein d’éditeurs de logiciels de comptabilité carbone doivent venir en aide aux organismes en charge de mettre à jour et compléter ces méthodologies : l’ABC (L’Association pour la transition Bas Carbone) et le GHG Protocol.
C’est précisément le sens de l’initiative d’Open Carbon Practice, communauté créée le mois dernier à l’initiative de Sami. Elle regroupe plus de 200 praticiens de la comptabilité carbone et focalise son travail autour d’un wikipedia de la comptabilité carbone - le Plan Carbone Général - pour détailler et harmoniser chaque méthode et sous-méthode de calcul par catégorie d’émissions.
Apporter plus de transparence dans les calculs
Autre problème soulevé par cet épisode : le manque de transparence dans les méthodes utilisées lors de la réalisation d’un bilan carbone. Il est en effet impossible de comparer des différences entre des résultats sans connaître les méthodes utilisées au préalable. Greenpeace et son cabinet partenaire (Facter X) ont par exemple dû se contenter d’hypothèses afin de calculer les émissions du groupe français.
Il est essentiel que les acteurs de la comptabilité carbone se mettent en marche afin de rendre publiques les méthodes qu’ils utilisent ce qui permettrait une meilleure transparence des résultats des entreprises.
Du côté des acteurs de la comptabilité carbone, certains l’ont bien compris. C’est par exemple le cas de la société française Sami qui a décidé de rendre sa méthodologie interne totalement open-source.
Certaines entreprises font aussi le choix de la transparence dans le résultat de leur empreinte carbone et des méthodes utilisées. C’est par exemple le cas de la société Amazon qui détaille les émissions de ses différents scopes ainsi que la méthodologie utilisée.
Le point de départ vers la réduction des émissions
Il est important de rappeler que l’objectif derrière la réalisation d’un bilan carbone est la réduction de ses émissions. Or sans une bonne mesure, il devient très difficile de se fixer les bons objectifs de réduction mais aussi de pouvoir s’étalonner par rapport aux autres entreprises de son secteur d’activité.
Il est donc urgent que les acteurs de la comptabilité carbone travaillent de concert afin de rendre la pratique plus harmonieuse et surtout plus transparente, sans quoi les données carbone publiées par les entreprises seront accueillies avec de plus en plus de méfiance par les citoyens.
Tribune de Tanguy Robert, CEO chez Sami (Linkedin).