Le nombre de jeunes hors des radars institutionnels est par définition difficile à évaluer. Selon une étude de la Dares de 2020, un tiers des Neet (acronyme anglais de "ni en études, ni en emploi, ni en formation") ne seraient pas en contact avec le service public de l'emploi ou un autre organisme d'insertion.
"En Ile-de-France, chaque année, il y a près de 10.000 décrocheurs scolaires injoignables. Il existe pourtant une cinquantaine de dispositifs d'insertion, mais il y a des jeunes qui ne sont nulle part", explique à l'AFP Matthieu Piton, chef de la mission ville à la préfecture de région.
Pour les repérer et les accompagner, la préfecture finance 200 postes de "référent de parcours" dans 200 quartiers de politique de la ville, "chevilles ouvrières" de son plan régional d'insertion jeunesse (PRIJ).
Educateurs spécialisés, médiateurs sociaux, conseillers de missions locales... leurs profils sont variés mais ils font du "hors les murs, en allant dans les lieux où sont les jeunes, le soir, le week-end..."
En s'appuyant sur les listes de décrocheurs - transmises par des groupes réunissant Education nationale, ville, mission locale, etc. - et leur réseau de proximité, ces référents ont repéré, remobilisé et accompagné 12.300 jeunes, dont 5.000 ont trouvé une sortie positive en formation ou en emploi.
"Leur atout principal, c'est la capacité à entrer en contact avec les jeunes", résume M. Piton.
Référente à Vigneux-sur-Seine (Essonne), Muriel Buffet travaille pour une association de quartier qui s'occupe plutôt des familles, mais "les mamans lui permettent d'entrer en contact avec ces jeunes".
"Je me promène beaucoup dans le quartier, j'ai mon réseau et ensuite le bouche-à-oreille fonctionne", témoigne Mme Buffet qui accompagne en permanence une vingtaine de décrocheurs vers l'insertion, notamment via l'apprentissage.
"Il faut d'abord montrer patte blanche, dire que vous n'êtes ni de l'Education nationale, ni de la police, ni de la justice, ces jeunes vous testent énormément", souligne-t-elle.
'le lien', valeur clé
Ces "sourceurs" doivent avant tout "maîtriser les codes des quartiers", confirme Imane Kajiou, formatrice pour un programme d'inclusion baptisé "La Conquête des possibles", lancé par le groupe de formation IGS début 2021.
Ce programme vise à ramener sur trois ans 850 jeunes Franciliens vers l'insertion, principalement par des contrats de professionnalisation avec des entreprises partenaires, après un "sas de remobilisation" intensif de 23 jours sur le campus du groupe pour les aider à reprendre confiance et définir un projet professionnel.
Pour trouver 40 à 60 jeunes par mois, elle a recruté six "ambassadeurs" sur l'Ile-de-France dans son réseau d'éducateurs et de travailleurs sociaux.
"Dans les quartiers, les jeunes ne font confiance qu'à des gens avec qui ils ont un lien. Le bien est dans le lien", martèle-t-elle.
"Au début du programme, j'ai fait l'expérience d'une campagne de communication sur les réseaux sociaux, ça ne marche pas. J'ai eu 250 inscrits mais un seul est venu. Alors que sur 50 jeunes inscrits par un ambassadeur, 46 viennent", témoigne-t-elle.
Educateur sportif à Grigny (Essonne), Aziz Ndiaye, ambassadeur, repère ces jeunes via "les activités de proximité" et notamment le club de foot où il officie.
"Quand je les connais à 10-15 ans, ça crée du lien. Ils reviennent me voir plus grands quand ils sont un peu perdus, ils me considèrent comme un coach pas seulement sportif", raconte-t-il.
Pour éviter que ces décrocheurs rattrapés ne... redécrochent, "on reste en lien avec eux tout le temps, par les réseaux sociaux. S'ils sont absents un jour du programme, les ambassadeurs doivent aller voir ce qui se passe", explique Mme Kajiou.
Ensuite, "le jeune communique avec beaucoup de jeunes. S'il est content de son expérience chez nous, il devient lui-même ambassadeur de sa réussite", souligne-t-elle.