Signe d'une grande tension, les neuf membres du Conseil sont sous bonne garde. Toute manifestation aux abords de son siège, situé dans une aile discrète du Palais Royal, est interdite depuis jeudi soir après un bref blocage dans la matinée. Et d'impressionnantes barrières anti-émeutes ont été érigées rue de Montpensier.
La Comédie française, voisine du Conseil au sein du Palais-Royal, a annulé ses représentations de vendredi.
Depuis le déclenchement du 49.3 le 16 mars et plus encore depuis le 20 mars, quand le gouvernement est passé à neuf voix d'être renversé à l'Assemblée, le temps politique semble suspendu aux décisions du Conseil constitutionnel.
Augmentation du Smic
Emmanuel Macron, son gouvernement et sa majorité attendent une validation, même partielle, de la réforme, qui recule l'âge légal de départ à la retraite de 62 à 64 ans, pour enfin parvenir à surmonter la contestation qui dure depuis janvier et espérer relancer ce second quinquennat un an à peine après la réélection du chef de l'État.
En attendant la décision du Conseil, prévue vers 18h00, les deux têtes de l'exécutif ont affiché vendredi un agenda chargé. Rencontre avec des tirailleurs sénégalais et visite du chantier de Notre-Dame de Paris pour Emmanuel Macron. "Tenir le cap, c'est ma devise", a-t-il déclaré depuis la cathédrale.
Dans les rayons d'un hypermarché, Elisabeth Borne a de son côté été interrompue à plusieurs reprises par quelques manifestants. "On ne veut pas des 64 ans", "49.3 on n'en veut pas", ont crié certains. Mais la Première ministre a aussi pu engager le dialogue avec des clients, se disant "lucide" sur la force de la contestation.
Mme Borne a par ailleurs annoncé que le Smic augmenterait "d'un peu plus de 2%" au 1er mai, portant à 6% sa hausse sur un an.
Les oppositions, politiques et syndicales, espèrent que le Conseil censurera une réforme à la procédure parlementaire inédite et controversée.
"Les gens ne manifestent pas parce que la loi est inconstitutionnelle mais parce que la loi est injuste", a lancé la cheffe des députés de la France insoumise (LFI), Mathilde Panot, sur LCI, tandis qu'un de ses collègues, Antoine Léaument, a dénoncé des coups de matraques reçus lors de la manifestation parisienne jeudi soir.
Les décisions du Conseil, chargé de contrôler la conformité des lois à la Constitution, ne sont susceptibles d'aucun recours.
La gauche espère aussi un feu vert pour entamer la collecte de 4,8 millions de signatures vers un hypothétique et inédit référendum d'initiative partagée (RIP) destiné à limiter à 62 ans l'âge de la retraite en France.
Réaction syndicale "unanime"
Car les sages doivent se prononcer sur deux points: la conformité constitutionnelle de la réforme et la possibilité de déclencher une longue et complexe procédure référendaire.
Mais quel que soit leur verdict, "le combat syndical est loin d'être terminé", a averti le secrétaire général de la CFDT, Laurent Berger, jeudi.
Selon le ministère de l'Intérieur, 380.000 manifestants ont défilé jeudi en France (1,5 million selon la CGT), pour la douzième journée de mobilisation depuis janvier, le deuxième plus faible score depuis le début du mouvement.
Mais l'intersyndicale, qui se réunira lundi, ne va "pas exploser", a assuré vendredi Sophie Binet, la secrétaire générale de la CGT. Les syndicats répondront "ensemble par une réaction unanime", a-t-elle ajouté.
En attendant, un rassemblement est prévu à 17h00 devant l'Hôtel de Ville de Paris, à l'appel de plusieurs syndicats dont la CGT et FO, pour lequel la police redoute des débordements. Des blocages se sont poursuivis vendredi: perturbation de la circulation autour de Rouen, blocage d'une plateforme alimentaire dans la banlieue de Strasbourg, par exemple.
"Le pays ne tournera pas la page", a averti Mathilde Panot.
Cavaliers
Le Conseil constitutionnel, présidé par l'ancien Premier ministre socialiste Laurent Fabius, et qui compte deux anciens ministres d'Emmanuel Macron (Jacques Mézard et Jacqueline Gourault), va-t-il censurer totalement ou partiellement la réforme ? Retrancher les fameux "cavaliers" sociaux ou procéduraux (index séniors, voire CDI séniors) dont l'annulation ne semble faire aucun doute, même au sein du gouvernement, car ils n'auraient rien à faire dans un texte financier ?
En cas de validation, Emmanuel Macron devra encore promulguer la loi. Il a dit cette semaine vouloir, "dans un esprit de concorde", recevoir les syndicats. Et devrait prochainement s'adresser aux Français.
Une réunion au sommet de la majorité se tiendra lundi à l'Élysée. De même que l'intersyndicale.
Les dix moments-clés de la réforme des retraites
La réforme des retraites, sur laquelle le Conseil constitutionnel se prononce vendredi, est un engagement de campagne d'Emmanuel Macron avant sa réélection d'avril 2022, qui a suscité une forte opposition en France.
Rappel des dix moments-clés d'un projet qui fait suite à une première tentative de réforme, plus ambitieuse, durant le premier quinquennat, stoppée net, le 16 mars 2020, en raison de la pandémie de Covid-19.
10 janvier 2023 : 64 ans
Après une période de consultations, la Première ministre Elisabeth Borne dévoile le 10 janvier 2023 une réforme qui prévoit le report de l'âge légal de départ à la retraite de 62 à 64 ans à l'horizon 2030 et le relèvement de la pension minimum pour les carrières complètes à temps plein, à 85% du Smic net.
19 janvier : mobilisation massive
Front uni des syndicats contre le projet: ils mobilisent massivement le 19 janvier avec "plus de deux millions" de manifestants, selon la CGT, et 1,12 million de participants, d'après le ministère de l'Intérieur.
31 janvier : cortèges record
Le 31 janvier, une deuxième journée de protestation intersyndicale réunit des cortèges record: 1,27 million selon la police, 2,5 millions pour les syndicats.
6 février : débats électriques
Le 6 février, les débats démarrent à l'Assemblée nationale sous haute tension politique et sous pression de la rue, avec deux nouvelles journées de protestation, le 7 et le 11.
17 février : sans débat ni vote
Le débat en première lecture s'achève à l'Assemblée le 17 février, sans débat ni vote sur la mesure-phare du report à 64 ans en raison de l'obstruction de La France insoumise (LFI, gauche radicale).
7 mars : mobilisation "historique"
La mobilisation unitaire du 7 mars est d'une ampleur "historique": 1,28 million de manifestants selon la police, 3,5 millions pour la CGT.
Des mouvements de grève affectent transports, ramassage des ordures, activité dans les dépôts de carburant/raffineries, l'électricité/gaz, l'éducation.
11 mars : le Sénat adopte
Le Sénat approuve, le 9 mars, l'article sur le recul de l'âge de départ, puis adopte l'ensemble du texte de la réforme le 11.
16 mars : 49.3
L'incertitude entourant le vote de certains députés LR (droite) conduit Emmanuel Macron à opter, le 16 mars, pour un passage en force, avec une adoption sans vote à l'Assemblée, selon la procédure du 49.3.
Deux motions de censure sont rejetées le 20 mars, dont une, transpartisane, est écartée de justesse. La réforme est adoptée.
23 mars : blocages et grèves
Blocages et grèves s'intensifient dans les raffineries, transports et ports. Une neuvième journée de protestation réunit, le 23, plus d'un million de personnes (chiffres police) et est marquée par des violences.
Les méthodes musclées des policiers à motos BRAV-M, concentrent les critiques. L'agitation sociale conduit au report de la première visite officielle du roi Charles III en France, fin mars.
14 avril : verdict du Conseil constitutionnel
Trois nouvelles journées de protestation, les 28 mars, 6 et 13 avril, montrent un essoufflement de la mobilisation.
Le Conseil constitutionnel rend le 14 avril un verdict, très attendu, sur la réforme ainsi que sur un projet de référendum sur les retraites porté par la gauche.