Fait inhabituel, l'institution a annoncé la date - le 14 avril - de ses décisions à venir sur la constitutionnalité de la réforme des retraites et le référendum d'initiative partagée de la gauche pour contrecarrer ce projet phare du gouvernement.
Rarement l'institution créée en 1958, présidée depuis 2016 par l'ex-Premier ministre socialiste Laurent Fabius, n'aura autant été sous pression.
Une censure totale, envisagée par certains spécialistes, offrirait bien malgré lui à l'exécutif "une porte de sortie" et "calmerait au moins la contestation", juge un parlementaire Renaissance. "En même temps, ce serait catastrophique pour le président, incapable de faire un texte qui tienne la route".
Une censure partielle - sur l'index et le CDI seniors notamment - semble en revanche escomptée jusque dans la majorité, Laurent Fabius ayant lui-même évoqué ce scénario, selon Le Canard enchaîné.
En attendant ces décisions, susceptibles d'aucun recours, le temps politique semble suspendu, ce qui sied à ravir à cette institution installée dans l'aile Montpensier du Palais-Royal, cachée derrière la Comédie Française.
Émancipation
Initialement, sa mission principale était de cantonner le Parlement dans ses prérogatives.
Mais "ni les inspirateurs et les rédacteurs de notre Constitution, ni le Conseil lui-même, n'imaginaient la place que prendrait le Conseil constitutionnel dans notre vie politique", résumait Édouard Philippe en 2020.
Difficile, à l'origine, d'argumenter sur la Loi fondamentale avec De Gaulle. "Je ne pouvais retourner la Constitution contre son auteur", admet dans ses mémoires Gaston Palewski, son ex-directeur de cabinet, président de l'institution de 1965 à 1974.
Le fondateur disparu, le Conseil prît ses aises. D'abord en étendant considérablement son champ d'action par une décision de 1971 qui le consacre garant des droits et libertés. Puis, grâce à la réforme de 1974 permettant sa saisine par 60 députés ou 60 sénateurs. Enfin, par l'introduction en 2008 de la question prioritaire de constitutionnalité.
Mais l'institution ne fait pas l'unanimité. "C'est à peine si on remarque qu'il ne se comporte pas comme un contre-pouvoir, et qu'il n'en a pas les moyens", écrit Lauréline Fontaine, professeure à la Sorbonne et autrice d'un essai très sévère sur le Conseil ("La Constitution maltraitée", Amsterdam).
Pressions et haines recuites
Tout y passe, de la "pauvreté intellectuelle" des travaux à la rémunération des conseillers, en partie... "inconstitutionnelle", selon la juriste. Sans oublier sa composition : ses membres sont "presque tous liés à l'exercice du pouvoir politique qu'ils contrôlent".
Avec une cruelle comparaison entre les auditions très poussées pour intégrer la Cour suprême américaine et celles menées par les parlementaires français qui doivent auditionner les candidats - parfois d'anciens collègues - depuis la révision de 2008. Aucune candidature n'a été recalée depuis.
Les neuf membres sont nommés pour neuf ans, par tiers tous les trois ans, par les présidents de l'Assemblée et du Sénat et par le chef de l'État, à qui il revient de nommer le président. Le Conseil actuel comprend deux ex-ministres d'Emmanuel Macron (Jacqueline Gourault et Jacques Mézard) nommés par ses soins et deux anciens Premiers ministres (Laurent Fabius et Alain Juppé). Le président du Sénat Gérard Larcher a nommé son ex-directeur de cabinet, François Seners.
Les anciens présidents de la République sont membres de droit à vie. L'occasion de savoureuses scènes de haines recuites entre Giscard et Chirac. Leur retrait de l'institution, régulièrement évoqué, n'a jamais été adopté.
Les pressions peuvent exister. L'ex-président du Conseil Jean-Louis Debré a narré les appels insistants, en 2007, du président Sarkozy, inquiet du sort de sa loi sur la rétention de sûreté.
Nulle démarche analogue de l'exécutif actuel, à en croire Emmanuel Macron qui "attend" la décision du Conseil. Et accuse déjà La France insoumise de préparer sa "délégitimation" en cas de validation de la loi.
Le Conseil a également connu ses heures sulfureuses, notamment sous la présidence de Roland Dumas, convaincu d'avoir "sauvé la République" en validant, malgré des irrégularités flagrantes, les comptes de campagne de Jacques Chirac et Édouard Balladur en 1995. Avant de démissionner en 2000, empêtré dans des affaires judiciaires.
Faut-il faire évoluer le Conseil ? "Neuf en 1958 pour rendre dix décisions par an, les juges constitutionnels sont toujours neuf (...) pour rendre dix décisions par mois", relève le constitutionnaliste Dominique Rousseau, qui prône le passage à 15 membres, avec un président élu par ses pairs.