Avant le départ du cortège parisien, la nouvelle secrétaire générale de la CGT Sophie Binet a fustigé un gouvernement qui "vit dans une réalité parallèle", l'accusant de faire "comme si de rien n'était" face à la "profonde colère" contre la réforme.
A ses côtés, le numéro un de la CFDT, Laurent Berger, a observé que "la contestation est toujours aussi forte" même si les chiffres de participation du jour ne sont "pas les plus importants depuis le début" du mouvement social.
Les premiers chiffres des cortèges semblaient de fait attester d'une participation loin des records avec 3.600 personnes à Orléans, 5.500 au Havre ou 8.500 à Rennes, selon les autorités.
Le 28 mars, la mobilisation avait marqué le pas, avec selon le ministère de l'Intérieur 740.000 manifestants en France, "plus de deux millions" selon la CGT.
Cette fois-ci, les autorités attendent de source policière entre 600 et 800.000 personnes, dont 60 à 90.000 à Paris. 11.500 policiers et gendarmes sont mobilisés, alors que les derniers cortèges ont été émaillés de tensions.
Après bientôt trois mois de conflit, les manifestants affichent une détermination à toute épreuve, à l'image de Samy Andrieux, 27 ans à Clermont-Ferrand qui se dit prêt à se mobiliser "autant de temps qu'il le faut" pour obtenir le retrait de la réforme et affirme que "la colère monte vraiment".
Les grèves étaient cependant moins marquées, notamment à la SNCF, avec trois TGV sur quatre et un TER sur deux et, à Paris, un trafic "quasi normal" pour le métro et le RER.
Des actions de blocages aux portes de grandes villes ont provoqué des embouteillages, notamment à Lyon et Rennes mais aussi autour de Brest et Caen. Des cheminots ont aussi envahi brièvement l'ancien siège du Crédit Lyonnais à Paris, avec force fumigènes et sifflets.
Du côté des raffineries, après l'annonce du redémarrage de la production du site Esso-ExxonMobil de Port-Jérôme-Gravenchon (Seine-Maritime), sa voisine TotalEnergies à Gonfreville-L'Orcher reste la seule dont la production est encore arrêtée.
Dans l'éducation, le ministère a recensé moins de 8% d'enseignants grévistes. Quelques lycées et universités ont fait l'objet de blocages, par exemple, à Paris, la Sorbonne et Assas. A Rennes, la faculté de droit a été fermée, de même que les trois campus de Lyon-2.
"Entretenir la flamme"
Mais comme depuis le 10 janvier et la présentation de la réforme, le plus gros blocage est surtout à rechercher entre l'exécutif et les syndicats, dont les relations virent à l'aigre.
Après une rencontre qui a tournée court mercredi à Matignon, la cheffe du gouvernement a affirmé qu'elle n'envisageait "pas d'avancer sans les partenaires sociaux".
La réciproque est moins vraie.
"Elle ne peut pas imaginer être Première ministre de ce pays si elle ne retire pas sa réforme", a répliqué jeudi matin Sophie Binet, depuis Gournay-sur-Aronde (Oise) où elle était venue soutenir les grévistes du stockage de gaz Storengy, dénonçant plus tard depuis Paris un gouvernement "bunkerisé".
De son côté, l'entourage du président de la République, en déplacement en Chine jusqu'à samedi, a assumé un projet "porté démocratiquement" et rejeté la responsabilité de l'échec du dialogue sur les syndicats, et notamment la CFDT qui n'a pas "voulu entrer dans un compromis".
"Stop à la provocation, on n'est pas sur un ring", a réagi Laurent Berger, ajoutant plus tard que "plutôt que d'être susceptible, il vaudrait mieux être inquiet".
D'autres batailles sont à prévoir, au moins jusqu'à la décision du Conseil constitutionnel, qui rendra son verdict le 14 avril. L'intersyndicale prévue dans la soirée au siège de FO devrait déboucher sur l'annonce d'une nouvelle journée de mobilisation avant cette date. Ce ne serait "pas totalement idiot", a glissé jeudi M. Berger.
Il espère que les Sages censurent "l'ensemble de la loi". A défaut, a estimé le numéro un de la FSU Benoît Teste jeudi, un feu vert à la procédure de référendum d'initiative partagée (RIP) sur les retraites "peut nous permettre d'entretenir la flamme".