Effondrement des effectifs
De 1970 à 2014, le nombre de vertébrés sauvages : mammifères, poissons, oiseaux, reptiles, amphibiens, s'est effondré de 60%. Le déclin des animaux d'eau douce atteint même 83%, sous le coup de la surexploitation, parfois involontaire comme pour les dauphins de rivière (prises accidentelles en filets), et de la perte des habitats.
Globalement la dégradation des habitats représente la menace la plus signalée.
Le rapport est basé sur le suivi de plus de 16.700 populations (4.000 espèces): recensements par caméras (tapirs du Costa Rica, tigres en Inde), suivis des traces (lynx de Russie), programmes de recherche ou sciences participatives...
Par exemple, la population d'éléphants dans la zone de Selous-Mikumi, en Tanzanie, a diminué de 66% entre 2009 et 2014. Depuis 1976, l'espèce a subi un déclin de 86%, du fait du braconnage en premier lieu.
Perte d'espèces
L'index d'extinction montre une très forte accélération pour cinq grands groupes: oiseaux, mammifères, amphibiens, coraux et cycadales, une famille de plantes anciennes.
De manière générale, le taux d'extinction des espèces est de 100 à 1.000 fois supérieur à ce qu'il était il y a seulement quelques siècles, avant que les activités humaines commencent à altérer la biologie et la chimie terrestres. Ce qui, pour les scientifiques, signifie qu'une extinction de masse est en cours, la 6e seulement en 500 millions d'années.
Limites atteintes
En 2009, les scientifiques ont mesuré l'impact des besoins croissants de l'humanité sur les "systèmes terrestres". Ces derniers ont un seuil critique au-delà duquel le monde entre en territoire périlleux. Pour le climat, ce seuil est +1,5°C de réchauffement (par rapport au niveau pré-industriel), ont souligné les experts climat de l'Onu en octobre.
A ce stade, nous avons déjà franchi deux autres "limites planétaires", avec les pertes d'espèces et le déséquilibre des cycles de l'azote et du phosphore (résultant de l'usage d'engrais et de l'élevage intensif). Pour la dégradation des sols, l'alerte est au rouge. L'acidification de l'océan et la ressource en eau douce n'en sont pas loin.
Quant aux polluants chimiques, de type pertubateurs endocriniens, métaux lourds et plastiques, nous ne savons pas encore quel est le seuil critique.
Les technologies et une meilleure gestion des sols ont légèrement amélioré la capacité de renouvellement des écosystèmes, note le WWF, mais cela n'a pas compensé l'empreinte écologique de l'homme, trois fois plus marquée depuis 50 ans.
Forêts en déclin
Près de 20% de la forêt amazonienne, la plus grande du monde, a disparu en 50 ans. Dans le monde, les forêts tropicales continuent de reculer, principalement sous la pression des industries du soja, de l'huile de palme et de l'élevage.
Entre 2000 et 2014, le monde a perdu 920.000 km2 de forêts intactes, une surface quasi égale à la France et l'Allemagne réunies. Selon des données satellitaires, ce rythme a crû de 20% de 2014 à 2016 par rapport aux 15 ans précédents.
Océans épuisés
Depuis 1950, plus de 6 milliards de tonnes de produits de la mer ont été pêchées. Devant l'effondrement du stock, les prises ont atteint leur maximum en 1996, et depuis déclinent doucement.
3 questions à Marco Lambertini, directeur général du WWF International
Chaque nouvelle édition du rapport Planète vivante montre un recul de la faune sauvage dans le monde. Comment résumer la situation aujourd'hui ?
"La situation est vraiment mauvaise, on le dit depuis un moment, mais cela ne cesse d'empirer. L'attention s'est beaucoup concentrée sur le climat, à juste titre. Mais nous oublions les autres +systèmes+ (forêts, océans, etc...), interconnectés avec le climat et super importants pour le maintien de la vie sur Terre.
L'humain a évolué pendant 2 millions d'années au coeur d'une nature abondante, riche... que nous considérons comme acquise. Or nous commençons à altérer la biosphère au point de pousser certains systèmes au bord de l'effondrement.
La seule bonne nouvelle est que nous savons exactement ce qui est en train de se passer. Espérons que cela aide à apporter la réponse appropriée. Pour le climat, nous avons eu besoin de voir les événements extrêmes s'intensifier avant de signer l'accord de Paris.
La nature est un peu moins claire dans la relation de cause à effet: nous ne ressentons pas la déforestation ou l'extinction d'espèces sur notre peau de la manière dont nous sentons le chaleur ou le vent".
Comment expliquer cette dégradation et son rythme inédit? Le rapport parle d'une "consommation humaine folle".
"C'est ce que les scientifiques appellent +la grande accélération+, qui s'est produite ces 50 dernières années. La croissance et la consommation exponentielles de tout: énergie, eau, bois, poissons, aliments, engrais, pesticides, minéraux... tout. Il est évident que ce n'est pas soutenable. Certains +systèmes+ - forêts, océans... - absorbent ces impacts depuis des décennies, mais nous atteignons des seuils critiques.
La consommation d'énergie - et la manière dont nous la produisons - est un élément majeur. La consommation alimentaire est l'autre grand facteur: 40% des sols ont été convertis à des fins de production alimentaire, 70% de la ressource en eau sert à cela, plus de 30% des gaz à effet de serre (GES) viennent de là... Et il y a le soja, l'huile de palme et l'élevage bovin qui génèrent 80% de la déforestation opérée sur la planète aujourd'hui".
Que faire? Face à la grande accélération, les efforts de conservation - aires protégées, quotas, etc - apparaissent dérisoires.
"Ces efforts ont porté leurs fruits, au niveau d'espèces ou de sites. Mais en effet l'approche doit changer. Car nous voici face à une accélération sans précédent des impacts. Le rapport des experts de l'ONU sur le climat nous dit qu'il faut arriver à une neutralité carbone en 2050 (ne pas émettre plus de GES qu'on ne peut en absorber, ndlr). Cela signifie arrêter la déforestation, renverser la perte de biodiversité !
Ce qui nous amène à +l'accord pour la nature+. Comme à Paris pour le climat, nous devons montrer les risques qu'il y a pour nous, les humains, à perdre la nature. Dans les 12 prochains mois, nous - entreprises, gouvernements, ONG, chercheurs... - devrons aussi définir un objectif clair et parlant, qui soit l'équivalent de l'objectif 1,5°C/2°C du climat. Sans cela, nous ne retiendrons pas assez l'attention.
Il faut une révolution culturelle qui valorise vraiment la nature, lui donne, au sens propre, une valeur. Et c'est le plus difficile. Les gens ont des plantes dans leur appartement, chouchoutent leur chien, comblant leur besoin de nature de manière artificielle en oubliant ce qui arrive à la vraie nature, dehors.
Cette déconnexion est dangereuse, il faut nous reconnecter avec la nature. L'humanité mine des écosystèmes qui nous font vivre gratuitement depuis notre apparition sur Terre, et ces écosystèmes sont en train de s'écrouler".