"L'impact des municipales est réel: c'est un vieux démon", assure à l'AFP Alexandra François-Cuxac, présidente de la Fédération des promoteurs immobiliers (FPI).
De fait, à l'approche des élections de mars, la construction de logements ralentit en France. Depuis deux ans, le nombre de mises en chantier baisse, comme celui des permis octroyés, qui donne une idée plus avancée de l'avenir.
Il n'y a pas une raison simple à ce recul, particulièrement problématique quand les prix des logements, eux, progressent depuis plusieurs années.
Les acteurs du marché évoquent les incertitudes régulières sur la pérennité des aides publiques à l'achat d'un logement, comme le prêt à taux zéro (PTZ), ou le fait que leurs opérations deviennent de plus en plus coûteuses, au point parfois d'y renoncer tout simplement.
Mais une explication domine les discours, en particulier dans le monde de la promotion immobilière, le secteur qui fait émerger les immeubles dans les villes: les maires arrêtent d'octroyer des permis quand viennent les municipales, soucieux de ne pas mettre en danger leur réélection.
"Ca a commencé il y a un an, ça s'est amplifié au dernier trimestre 2019 et là, c'est le blocage total, sauf là où les maires ne se représentent pas", rapporte à l'AFP un promoteur, demandant à garder l'anonymat pour ne pas nuire à ses relations avec les élus.
"La veille des municipales, ils prennent peur, ils sont accusés d'être des maires bétonneurs", souligne-t-il. "Quand on fait 800 ou 1.000 logements par an dans une ville de 15.000 habitants, on change en profondeur l'urbanisme."
La situation ne concerne pas que les villes moyennes: ce promoteur dit être aussi confronté à des difficultés dans de grandes villes comme Nantes et son agglomération de près d'un million d'habitants. "Autant la maire", la socialiste Johanna Rolland, "est a priori sûre de gagner la ville, autant sur toute la métropole, c'est plus compliqué", avance-t-il. Résultat, en matière de permis, "c'est tout bloqué depuis décembre".
"Analyse un peu facile"
Au-delà des témoignages des professionnels, y a-t-il vraiment un recul généralisé des permis de construire avant chaque scrutin municipal?
Selon les chiffres du gouvernement qui remontent jusqu'à 1980, les baisses ont effectivement été particulièrement marquées en 1983, 1995, 2008 et 2014, toutes des années d'élections municipales.
A y regarder de plus près, la plupart du temps, le nombre de permis n'est reparti à la hausse ni l'année suivante ni celle d'après, démentant l'hypothèse d'un simple blocage électoraliste qui se dénouerait une fois entamé le nouveau mandat.
Dans d'autres cas, comme les années électorales de 1989 et 2001, la baisse des permis n'était pas très marquée, relativisant le rôle crucial joué par les municipales.
Ces évolutions en demi-teinte vont dans le sens de certains observateurs qui relativisent la dépendance de la construction de logements aux enjeux électoraux.
"C'est une analyse un peu facile", juge auprès de l'AFP Yannick Borde, qui a un pied dans le monde des élus comme dans celui du logement: il est à la fois maire de Saint-Berthevin, une ville d'environ 7.000 habitants près de Laval en Mayenne, et à la tête de Procivis, une organisation liée au monde HLM et spécialisée dans l'accès à la propriété.
"Les maires qui seraient dans un calcul comme ça", c'est-à-dire refusant par électoralisme de nouveaux logements, "seraient assez vite rattrapés par une incapacité à agir financièrement", privés de nouveaux habitants et de recettes fiscales, souligne M. Borde.
Si les fluctuations de la construction de logements suivent, grossièrement, le cycle électoral, c'est parce qu'elles obéissent aux "mécaniques du parcours d'un projet dans la vie municipale", avance-t-il.
"Les grandes opérations sont initiées au début d'un mandat, il y a une gestation qui est longue et correspond à la durée d'un ou deux mandats", détaille-t-il. "Et avant d'en réaliser une nouvelle, il y a une inertie" qui correspond à l'année d'élection.