Notre-Dame, joyau gothique orpheline de sa flèche, sans charpente, avec une voûte fragilisée, dont l'incendie a ému le monde, reste en "urgence absolue" selon l'équipe qui veille sur elle, même s'il est très improbable qu'elle s'écroule. Autour du parvis ceinturé de barrières, les touristes japonais, chinois ou américains ont cessé de venir faire des selfies.
Le chantier avait été retardé durant l'été par des mesures contre la contamination au plomb. Puis à l'automne et à l'hiver, les intempéries ont bloqué les travaux, chaque fois notamment que les vents soufflaient à plus 40 km/h.
Et alors que le printemps se profilait, et que le démarrage du démontage des 10.000 tubes de l'échafaudage tordus et soudés par le feu était imminent, le confinement a plongé le chantier dans le sommeil.
Outre la grue géante, un ceinturage avec des poutres métalliques avait été réalisé. Un deuxième échafaudage léger s'élève de part et d'autre de l'ancien. Des cordistes, appelés "écureuils", étaient prêts à descendre scier les pièces.
Cette opération délicate de quatre mois, "chantier dans le chantier", est interrompue, mais le général Jean-Louis Georgelin, qui préside l'Établissement public de Notre-Dame, étudie la possibilité de la faire reprendre partiellement, progressivement et de manière ciblée. Par exemple "pour les cordistes, ces équilibristes au bout de leur cordes, la distanciation sociale (exigée face au coronavirus) est évidente".
Cet examen est en cours, conduit en concertation étroite avec la maîtrise d’œuvre, les entreprises et tous les acteurs de la prévention.
Avant mi-mars, le chantier mobilisait entre 60 et 70 ouvriers, une poignée d'entreprises principales (Europe Echafaudage, Le Bras, Jarnias, Pierre Noel) et une myriade d'autres.
Si des robots ont déblayé la nef, il faudra encore retirer les débris au-dessus de l'immense voûte. Des opérations qui s'achèveront en principe à l'été, tandis que le démontage et le dépoussiérage du grand orgue sera effectué tranquillement d'ici 2024.
Des capteurs sont chargés partout d'identifier le moindre mouvement éventuel. "Ça ne bouge pas", rassure une source proche du dossier.
Quand pourra-t-on entrer dans la phase de restauration? Le général Georgelin assure à l'AFP qu'elle "devrait commencer en 2021".
L'architecte en chef Philippe Villeneuve effectue les études de restauration, qui conditionneront les travaux. Une consolidation des voûtes pourrait être encore nécessaire et il faudra procéder notamment à la dépollution de deux chapelles test. "J'espère que tout cela sera terminé à l'automne", affirme le général.
Les options seront soumises à la Commission nationale du patrimoine et de l'architecture.
Par ailleurs, il faudra procéder à un grand nettoyage de la cathédrale et à l'installation d'un parapluie définitif.
Malgré la mise en sommeil, "nous ne dormons pas, je sollicite la réflexion de tout le monde", insiste le chef d'opérations.
Un édifice aussi complexe pourra-t-il être restauré en cinq ans comme l'a souhaité Emmanuel Macron? "Beaucoup de personnes au début ont affirmé qu'en cinq ans, nous ferions n'importe quoi. Ce sont des propos malveillants, il s'agit de conduire les travaux de manière exemplaire sans procrastination", ajoute le général, qui assure qu'on célèbrera un "Te Deum" dans la cathédrale le 16 avril 2024.
"Supposons que le sommeil dure de l'ordre de deux mois. Sur une durée de 68 mois, on devrait être capable de l'absorber", estime-t-il.
Controverse nationale
Rien ne permet de discerner la forme finale qu'aura le joyau gothique. Devra être tranchée l'alternative qui divise les amoureux de ce symbole national et religieux: reconstruire à l'identique la flèche de Viollet-Le-Duc, ou concevoir un "geste architectural contemporain", comme l'a souhaité Emmanuel Macron ? Au risque de se mettre en infraction avec l'Unesco ?
Certains ont proposé une flèche en verre, ou de créer sur le toit un parc-jardin bio, voire une terrasse panoramique pour les touristes...
L'architecte Philippe Villeneuve plaide la fidélité à l'ouvrage génialement retouché dans le style gothique par Viollet-le-Duc, dont sont conservés tous les plans. Il a estimé qu'une reconstruction à l'identique permettrait mieux de tenir les délais. Une option qui semble être celle d'une majorité de Français.
Le général Georgelin, ancien chef d'état-major des armées, nommé par Emmanuel Macron, a pris fin 2019 les commandes. Un homme à poigne pour arbitrer entre les multiples experts, commissions et métiers impliqués.
Le chantier s'est renchéri en raison d'imprévus -le plomb tout d'abord- et d'allongement des délais. 902 millions de dons et promesses de dons ont été faits: de quelques dollars versés par des particuliers de tous les pays aux énormes cadeaux des mécènes.
Une manne trop importante? "Ceux qui se sont permis de dire qu'on avait trop d'argent ont été imprudents. Tout me laisse à penser que nous aurons bien besoin de l'argent" des 340.000 donateurs, estime le général, qui leur exprime sa "profonde gratitude".
Après les polémiques des premiers mois, la préoccupation de la contamination au plomb semble quant à elle largement apaisée.
Une inconnue reste l'enquête de trois juges d'instruction sur cet incendie dont l'origine est vraisemblablement due à des dysfonctionnements et négligences. Entre les entreprises impliquées dans cette affaire et l'État, y aura-t-il des responsabilités établies, avec ce que cela implique versant assurances?
Quant au concours international d'architectes évoqué par l'exécutif, aura-t-il bien lieu ? Et comment seront "consultés largement" les Français ? Autant d'inconnues.
Où en est le "plan de sécurité" des cathédrales ?
Les cathédrales de France sont-elles à l'abri d'un incendie ? C'est pour empêcher que le sinistre de Notre-Dame ne se reproduise qu'un "plan sécurité cathédrales" a été lancé. Salué positivement, il risque d'être insuffisant, s'accordent les experts.
Quelques jours après le sinistre, le ministre de la Culture Franck Riester avait ordonné un état des lieux "très précis" des systèmes de sécurité des 86 cathédrales, deux basiliques et une église dont l'État est propriétaire. Un plan "sécurité cathédrales" a depuis été adopté, doté de 2 millions d'euros en 2020, s'ajoutant aux 40 à 45 millions d'euros affectés annuellement aux cathédrales.
On y retrouve les problématiques apparues à Notre-Dame. La première consigne est de "porter une attention toute particulière aux installations électriques et aux procédures mises en œuvre à l'occasion de travaux".
Mais aussi "réduire les risques de propagation" du feu, "faciliter l'action des sapeurs-pompiers", "mettre en place un plan de sauvegarde des biens culturels", et "renforcer la formation des acteurs sur la sécurité incendie".
La plupart des incendies qui se déclarent chaque année dans les églises et cathédrales ne sont pas la conséquence d'actes criminels. Les installations électriques défectueuses sont à l'origine de quelque 30% des sinistres.
Les départs de feu surviennent assez souvent lors de chantiers: une soudure mal réalisée, une combustion lente non détectée, un projecteur trop près de la charpente. Mais aussi des cartons de cierges sous un présentoir à bougies, des appareils au gaz derrière de simple rideaux...
Des missions sécurité-sûreté composées de pompiers et policiers détachés au ministère de la Culture, font tous les cinq ans depuis 1996 des audits.
Début 2020, les commissions de sécurité qui vérifient les conditions de l'accueil du public, n'ont pas donné d'avis favorables pour sept cathédrales.
A Grenoble et à Sées (dans l'Orne), les problèmes sont liés à l'environnement immédiat. Pour Saint-Etienne de Toulouse, une sortie de secours passe par la sacristie, où se trouve le trésor. A Evreux, Bourges, Tulle et Saint-Brieuc, à l'intérieur des édifices, des mises aux normes étaient en cours quand le coronavirus est arrivé.
La situation varie beaucoup d'un site à l'autre. A Rennes, une restauration a été conduite récemment. Du coup un système dernier cri, avec des détecteurs de fumée à laser, est en place.
Quelque soit leur état de départ, toutes les cathédrales doivent respecter des seuils règlementaires, et s'efforcer d'aller au delà. Mais parfois le "clochemerle" complique tout : bisbilles entre mairie, diocèse, architectes, entrepreneurs, commerçants...
Le plus grand retard est celui des plans de sauvegarde des œuvres (tableaux, statues, tapisseries, etc;) sous les mots-clé: sécuriser, protéger, évacuer. Une vingtaine de plans seulement ont été achevés, indique-t-on au ministère.
Dans la concertation entre conservateurs régionaux et SDIS (Services départementaux d'incendie et de secours), les priorités tendent à diverger: les conservateurs s'attachent à la fidélité au patrimoine, les pompiers demandent où sont les œuvres prioritaires, comment les enlever...
Fin 2020, un bilan des travaux devrait être effectué.
"Présence humaine"
Pour Henry Masson, président du "collège des monuments historiques", groupe d'experts des professions concernées, la connaissance de ces édifices très complexes --avec des relevés qui sont les "outils de base"-- requiert beaucoup de "travail, temps et argent".
"Mais la question de fond est la présence humaine: quelqu'un qui connaisse très bien l'édifice" et puisse veiller sur lui. Or, le ministère ne prévoit pas d'embaucher des gardiens.
"Où ça sonne ? Chez qui ? Qui intervient ? Quel délai entre alarme et intervention": seule cette présence humaine peut le savoir et l'assurer, observe-t-il.
Selon M. Masson, ce sont ces dysfonctionnements humains qui ont aggravé le sinistre de Notre-Dame.
Maxime Cumunel de l'Observatoire du patrimoine religieux (OPR) salue le plan de Franck Riester mais déplore "le manque d'un état des lieux réel". "2 millions d'euros, j'ai un gros doute que cela suffise. Et qu'en est-il des autres cathédrales, du Panthéon, de la Sainte-Chapelle ? Il faudrait un plan d'action, un objectif, un état des lieux, une feuille de route, un budget, un calendrier".
"Et les grandes institutions publiques sont-elles à la hauteur ? L'État doit être régulateur et bon gendarme", plaide-t-il.
Pour le ministère, la politique d'entretien de ses cathédrales ne doit pas que préserver le passé mais être tournée vers l'avenir, avec des restaurations audacieuses et l'adjonction de projets contemporains, comme dans la restauration du portail polychrome de Saint-Maurice d'Angers.