La restauration de la cathédrale, chef d'oeuvre de l'art gothique gravement endommagé le 15 avril, représente "un défi inédit", technique, architectural et financier, pour le gouvernement qui a fait le choix d'accompagner sa mise en oeuvre par un texte spécifique.
Face aux dons et promesses de dons de particuliers qui approcheraient désormais le milliard d'euros, le gouvernement a voulu mettre en place un dispositif de gestion et de contrôle.
Le texte entérine l'ouverture de la souscription nationale depuis le 16 avril, et prévoit que l'ensemble des dons recueillis seront reversés à l'État ou un établissement public.
Cette première partie du projet de loi a été peu critiquée au sein de l'hémicycle. La seule question en débat est de savoir ce que l'Etat ferait d'un éventuel surplus des dons, une fois les travaux réalisés.
Pourquoi ne pas redistribuer l'argent restant à d'autres cathédrales ou églises en péril, ont suggéré des élus?
Selon l'Observatoire du patrimoine religieux (OPR), quelque 5.000 édifices religieux se délabreraient dans le pays. La France compte entre 40.000 et 60.000 églises et chapelles.
Le ministre de la Culture Franck Riester a affirmé que "tout l'argent des dons" irait bien à Notre-Dame. Le montant total des travaux ne dépasserait pas 600 à 700 millions d'euros, selon diverses estimations.
Restauration à l'identique
La seconde partie du projet de loi est plus controversée. Elle porte sur la création par ordonnances d'un établissement public pour concevoir, réaliser et coordonner les travaux dans des délais réduits.
Il est prévu également une habilitation du gouvernement à déroger si nécessaire à certaines règles d'urbanisme, de protection de l'environnement, de commande publique ou de préservation du patrimoine.
Des députés d'opposition ont critiqué un "blanc-seing" donné au gouvernement pour la création d'un établissement public, avant même d'en connaître la composition.
Mais c'est la carte blanche pour déroger à certaines règles qui est la plus polémique, beaucoup y voyant les conséquences de la volonté du président Emmanuel Macron de voir se réaliser les travaux en cinq ans.
"Il n'est pas question de remettre en cause les principes fondamentaux de la préservation du patrimoine", mais de "gagner du temps sur les démarches administratives", a tenté de rassurer Franck Riester.
"Les bâtisseurs de cathédrales travaillent pour l'éternité. Qui sommes-nous pour précipiter la rénovation de Notre-Dame et nous éloigner des règles d'urbanisme ?", a dénoncé la députée de droite Brigitte Kuster.
"Ce n'est pas en imposant un agenda" calqué sur "les Jeux olympiques de Paris en 2024" que "nous seront fidèles" à Notre-Dame, a fustigé le député de gauche Alexis Corbière, la communiste Marie-George Buffet redoutant pour sa part que ces "dérogations" ne créent "un précédent".
Enfin, si la question architecturale n'est pas évoquée dans le projet de loi, certains comptent bien la mettre sur la table. La députée de droite Constance le Grip souhaite une restauration "à l'identique", afin d'"empêcher des gestes architecturaux qui aillent trop loin".
Le chef de Debout la France (droite), Nicolas Dupont-Aignan, a lui décidé de lancer une pétition pour une reconstruction "à l'identique".
Anne Brugnera, qui s'appuie sur l'avis d'architectes, affirme que c'est "en fait impossible, voire irréaliste". "Même si nous sommes tous attachés à l'image que nous avions de Notre-Dame (...) il ne faut rien écarter".
Les principales mesures du projet de loi
Souscription nationale, déduction fiscale, contrôle des fonds recueillis, dérogations à certaines règles d'urbanisme: voici les principales dispositions du projet de loi pour la restauration et la conservation de Notre-Dame, au menu vendredi de l'Assemblée.
Ouverture d'une souscription nationale
Ouverture depuis le 16 avril d'une souscription nationale, sous l'autorité du président de la République. Elle a pour objet le financement de la conservation et de la restauration de la cathédrale et de son mobilier. Les dons pourront également servir au financement de la formation des professionnels disposant des compétences particulières qui seront requises pour les travaux. La clôture de la souscription sera prononcée par décret.
Le produit des dons versés depuis le 16 avril par les personnes physiques ou morales, en France ou à l'étranger, auprès du Trésor public, du Centre des monuments nationaux ainsi que des trois fondations habilitées (Fondation de France, Fondation du patrimoine et Fondation Notre Dame) sera reversé à l'État ou à l'établissement public chargé de la conservation et de la restauration de Notre-Dame.
Participation des collectivités
Les collectivités pourront participer à la souscription au titre de la solidarité nationale. Il s'agit de confirmer par la loi que leurs subventions sont bien compatibles avec la notion d'intérêt public local à laquelle elles sont soumises. Leurs versements seront considérés comme des subventions d'équipement.
Déduction fiscale pour les dons
Le taux de réduction d'impôt sur le revenu au titre des dons et versements effectués par les particuliers est porté à 75%, dans la limite de 1.000 euros par an (contre 66% dans le droit commun).
Ce montant ne sera pas pris en compte pour l'appréciation des plafonds de versements au bénéfice d'autres oeuvres, y compris celles ouvrant droit à un taux de réduction d'impôt majoré (loi Coluche).
Cette mesure exceptionnelle ne s'appliquera qu'aux dons effectués entre le 16 avril et le 31 décembre 2019.
Contrôle de l'utilisation des fonds
Au regard de l'ampleur des dépenses de restauration, un comité exceptionnel de contrôle est mis en place, en plus des contrôles habituels. Il réunira le Premier président de la Cour des comptes et les présidents des commissions des Finances et de la Culture de l'Assemblée et du Sénat, et sera chargé de s'assurer de la bonne gestion et du bon emploi des fonds recueillis.
Création d'un établissement public
L'Etat pourra prendre par ordonnance, dans les six mois suivant la publication de la loi, des mesures visant la création d'un établissement public destiné à concevoir, réaliser et coordonner les travaux de conservation et de restauration de Notre-Dame et de son mobilier. Si sa composition n'est pas connue, il est envisagé que la ville de Paris et le Diocèse de Paris soient associés à sa gouvernance en tant que principaux utilisateurs de la cathédrale.
Le texte prévoit une dérogation aux règles de la limite d'âge des dirigeants de la fonction publique. Selon certains députés, la mesure serait destinée à permettre à Jean-Louis Georgelin, ancien chef d'état-major des armées (70 ans), chargé par le chef de l'État d'une mission pour la reconstruction de Notre-Dame, de présider la structure.
Dérogation aux règles d'urbanisme et de protection de l'environnement
Dans les deux ans suivant la loi, le gouvernement pourra prendre par ordonnance toutes dispositions visant à faciliter les travaux de restauration de la cathédrale.
Il pourra dans ce cadre procéder à des dérogations ou adaptations de règles d'urbanisme, de protection de l'environnement, de voirie et de transports, ainsi qu'aux règles de la commande publique. Il pourra également déroger aux règles de l'archéologie préventive et à celles sur la préservation du patrimoine. La majorité a cependant annoncé en commission qu'elle déposerait des amendements sur ce volet controversé du texte.
Franck Riester : "la restauration ne se fera pas à la hâte"
La restauration de Notre-Dame de Paris ne se fera "pas à la hâte" a promis vendredi le ministre français de la Culture, Franck Riester, devant les députés.
Le ministre s'exprimait à l'ouverture de l'examen d'un projet de loi destiné à gérer les dons et encadrer les travaux de restauration de la cathédrale après l'incendie qui l'a gravement endommagée le 15 avril.
Revenant sur le souhait du président Emmanuel Macron de voir la restauration réalisée en cinq ans - délai jugé irréaliste par certains spécialistes - le ministre a évoqué "un délai ambitieux, volontariste qui permet de mobiliser l'ensemble des équipes concernées".
"Oui, nous voulons aller vite. On nous a accusés d'aller trop vite mais c'est l'élan de générosité qui a été très vite, il fallait pouvoir y répondre, c'est ce que nous avons fait", a-t-il justifié en réitérant l'engagement que l'ensemble des dons "iront uniquement et intégralement à Notre-Dame".
"Nous saurons prendre en compte l'avis des professionnels (...) nous saurons les écouter et leur faire confiance", a-t-il assuré.
Le ministre a justifié "les demandes d'assouplissement de certaines règles de procédure", fortement critiquées par les oppositions, par le caractère "exceptionnel, ambitieux et unique du chantier".
"Mais, il va de soi que ces assouplissements seront proportionnés aux besoins du chantier" et "il n'est pas question de se servir de la restauration de Notre-Dame pour piétiner le droit français et européen du patrimoine, de l'environnement ou de l'urbanisme", a-t-il promis.
"Il y a des règles précises qui s'appliquent à la restauration du patrimoine bâti et du mobilier formalisé dans le code du patrimoine et qui correspond aussi à l'excellence de la France dans ce domaine. Il va de soi que ces règles s'appliqueront, j'en serai le garant, c'est mon engagement", a conclu le ministre.