"On a beaucoup d'inquiétudes" même si "après l'inquiétude il y a aussi l'espoir", déclarait jeudi Christine Leconte, présidente de l'Ordre des architectes en Île-de-France, ouvrant le bal annuel de la profession à Paris, au couvent des Récollets près de la gare de l'Est.
Derrière la musique latino et les conversations enjouées, la fête se tenait dans un contexte particulier: les architectes combattent, pour l'heure sans succès, le projet de loi du gouvernement sur le logement.
Cette loi, dite "Elan", a été adoptée en juin par les députés et passe maintenant devant les sénateurs. Parmi les nombreuses dispositions de ce projet, qui vise à faciliter la construction, plusieurs suscitent la colère des architectes.
"C'est une catastrophe qualitative", s'exclame auprès de l'AFP Denis Dessus, président de l'Ordre des architectes, au sujet de mesures qui touchent essentiellement au logement social.
Au moment de lancer la construction de logements, les bailleurs sociaux n'auront plus à organiser un concours d'architecture, comme c'est actuellement le cas pour certaines opérations.
Le texte leur permet aussi de déroger à certains volets d'une loi, dite de la maîtrise d'ouvrage public (MOP), qui encadre précisément les modalités de recours au privé.
Pour M. Dessus, ces mesures font un gagnant, omniprésent dans ses propos: "les grands groupes du BTP", qui pourront "sans contre-pouvoir" gérer des projets à tous les maillons de la chaîne.
L'exécutif s'en défend et répète que la loi ne remet pas en cause le rôle des architectes mais laisse plus de liberté aux bailleurs.
"Certains bailleurs sociaux peuvent se dire +moi j'ai un architecte en mon sein+", disait début juillet Julien Denormandie, secrétaire d'Etat à la Cohésion des Territoires sur France Culture, rappelant qu'il faut payer tous les participants à un concours. "La relation que le bailleur aura avec l'architecte, c'est lui qui la définira."
Un "très bon" lobby
Il est peu probable que le gouvernement cède. Selon plusieurs acteurs, c'est en allégeant ainsi les contraintes des bailleurs sociaux que l'exécutif a fait accepter l'objectif annuel de 1,5 milliard d'euros d'économies.
"Le gouvernement pense que l'on gagne très bien notre vie sur les projets, alors qu'on est autour de 2.000 euros par mois", regrette l'architecte Ingrid Taillandier, basée à Paris, qui s'inquiète plus de l'assouplissement de la loi MOP que de celui des concours.
Le contexte n'empêche pas les architectes de faire le siège depuis le début de l'année: lettre ouverte de figures de l'architecture comme Jean Nouvel, manifestation devant le ministère de la Culture en mai...
Au long de ces actions, la profession a été rejointe par des associations de locataires et de défense des handicapés tout en se plaçant comme rempart contre une vision "comptable" qui provoquerait une dégradation du logement, notamment social.
"C'est du pipeau", juge auprès de l'AFP Norbert Fanchon, président du directoire du bailleur social Gambetta. "L'immeuble on doit le louer 50 ou 60 ans... Si c'est pour faire un truc qui n'est pas gérable, économiquement, on sera perdant."
Plus largement, le discours des architectes, frappé au sceau de l'intérêt général, tend à agacer parmi leurs cibles comme chez certains parlementaires.
Un promoteur juge ainsi les architectes aveuglés sur une loi ayant dans l'ensemble vocation à leur donner "plus de travail". Chez les politiques, le député UDI Jean-Christophe Lagarde évoquait en juin à l'Assemblée un "lobby puissant".
"Le lobby des architectes est très bon", appuie M. Fanchon, estimant qu'il a été particulièrement efficace sous le quinquennat de François Hollande avec, par exemple, la loi sur la liberté de la création, l'architecture et le patrimoine (CAP) de 2016.
Chez les architectes, on s'inscrit en faux et souvent sur un ton ému contre ce type de propos, qui font "beaucoup de peine" ou sont "extrêmement violents" à entendre. M. Dessus admet simplement que "les ministères nous écoutent" - mais pas actuellement.
"On n'est pas seulement là pour défendre notre profession: nous aussi, on veut plus de logements", conclut Mme Taillandier, reprenant l'objectif de la loi Elan.