"Le gouvernement ne veut pas renoncer à sa réforme mais a compris que ce n'était pas le moment. Il nous dit que la mise en œuvre, ce ne sera pas au 1er avril, c'est certain, mais qu'il faut trouver les indicateurs pour la programmer quand ça ira mieux", a résumé Denis Gravouil pour la CGT, une des huit organisations syndicales et patronales reçues tout au long de la journée au ministère.
"L'idée est de définir des modalités d'entrée en vigueur pour arrêter avec les reports de trois mois en trois mois. Il reste un travail assez technique à effectuer sur les indicateurs à retenir: nombre de demandeurs d'emploi, offres d'emplois non pourvues, création d'emplois, etc.", a expliqué Eric Chevée (CPME).
"Attention aux fausses bonnes idées. Ça va être le casse-tête de trouver les bons critères, le taux de chômage étant par exemple très hétérogène selon les régions", a prévenu Marylise Léon (CFDT). "Dans la tête de la ministre, ces indicateurs n'ont pas encore l'air bien définis", a jugé Michel Beaugas (FO).
Ce travail va se poursuivre et devrait être présenté lors d'une réunion multilatérale autour de la mi-février.
Décidée en juillet 2019 par le gouvernement Philippe après l'échec d'une négociation sociale très encadrée par l'exécutif, la réforme visait alors à réaliser 1 à 1,3 milliard d'économies par an, notamment en durcissant les règles d'indemnisation et en taxant le recours abusif aux contrats courts.
La brutalité de la crise a contraint le gouvernement à suspendre son application cet été et à proposer à l'automne des aménagements sur les quatre grands paramètres: passage de 4 à 6 mois d'affiliation pour ouvrir des droits, mode de calcul de l'indemnisation, dégressivité de l'allocation et "bonus-malus" sur les cotisations des entreprises.
Cela n'a pas suffi à changer l'opposition des syndicats, qui dénoncent unanimement "une baisse des droits des chômeurs" alors que l'Unédic a déjà pointé une diminution du taux de couverture des chômeurs, particulièrement des moins de 26 ans, du fait de l'application de la règle des six mois entre novembre 2019 et sa suspension en juillet 2020.
L'exécutif est néanmoins déterminé à aller au bout car cela permettrait à Emmanuel Macron d'ajouter à son bilan la réalisation de cet engagement de campagne, alors que la relance de l'autre grande réforme sociale suspendue - celle des retraites - sera plus difficile.
Quatre points contestés
Sur les points controversés, l'exécutif a proposé de revenir sur le passage de 4 à 6 mois de travail pour ouvrir des droits, mais uniquement pour les moins de 26 ans. La dégressivité de l'allocation (pour les demandeurs d'emploi au salaire supérieur à 4.500 euros brut) interviendrait au bout de huit mois - au lieu de six dans le projet initial - et toucherait moins de chômeurs âgés.
Le point le plus contesté reste les nouvelles modalités de calcul de l'allocation, le cœur de la réforme, qui risque de pénaliser fortement, selon l'Unédic, les "permittents", souvent précaires qui alternent chômage et contrats courts.
Le gouvernement défend un enjeu "d'équité" et d'incitation à la reprise d'un emploi durable car le système actuel est plus favorable, pour le même nombre d'heures de travail, à celui qui alterne périodes de travail et chômage, qu'à celui qui travaille en continu.
Ce point a été annulé fin novembre par le Conseil d'État car il créait "une différence de traitement manifestement disproportionnée" entre allocataires. Pour y remédier, Mme Borne travaille sur un plancher garantissant une rémunération minimale aux demandeurs d'emploi.
Si le patronat soutient la réforme de l'indemnisation, il continue de contester l'instauration "absurde" d'un bonus-malus sur la cotisation d'assurance chômage dans sept secteurs grands consommateurs de contrats précaires (hébergement-restauration, agroalimentaire, transports, plasturgie...). "Il n'est pas envisageable de l'appliquer à des secteurs particulièrement impactés comme l'hôtellerie-restauration", a dit M. Chevée.
Le patron du Medef, Geoffroy Roux de Bézieux, plaide pour que l'année de référence (pour compter le nombre de fins de contrats donnant lieu à inscription à Pôle emploi) "soit 2022, ce qui mettrait la réforme en place en 2023".
Mais pour les syndicats, la mise en place du bonus-malus ne doit pas intervenir après celle des nouvelles règles d'indemnisation.
"Pas question qu'il y ait des baisses de droits des demandeurs d'emploi maintenant et un bonus-malus futur ou potentiel" , prévient Mme Léon (CFDT).