Après une pause au troisième trimestre, le taux de chômage, mesuré selon les normes du Bureau international du travail (BIT), a repris sa tendance baissière au quatrième avec une diminution de 0,4 point, pour atteindre son plus bas niveau depuis fin 2008, où il était alors de 7,7%, selon l'Insee.
"On s'attendait à une baisse de 0,2 point sur le trimestre. On est un peu surpris de l'ampleur mais ça reste dans la continuité du mouvement observé depuis 2016", a commenté Sylvain Larrieu, chef de la division synthèse et conjoncture du marché du travail à l'Insee.
Fin 2019, la France (hors Mayotte) comptait 2,424 millions de chômeurs, soit 85.000 de moins sur le trimestre et 183.000 sur un an. En métropole, le taux est descendu à 7,9% de la population active.
Devant la presse, Edouard Philippe s'est "félicité vivement des excellents résultats du chômage". "La constance, l'effort, les mesures que nous avons prises, produisent des résultats", a-t-il jugé.
Pour Muriel Pénicaud, l'ambition d'Emmanuel Macron d'un taux de 7% en 2022 est désormais "franchement atteignable".
"On voit une dynamique partout sur le territoire avec 24 départements déjà sous les 7%", s'est réjouie la ministre du Travail. "On n'a jamais autant embauché en CDI, jamais autant formé d'apprentis et de demandeurs d'emploi", a-t-elle vanté.
Le taux d'emploi, c'est-à-dire la proportion des 15-64 ans qui travaillent, a progressé de 0,4 point sur un an à 65,9%, un plus haut depuis que l'Insee mesure cet indicateur.
C'est la conséquence des fortes créations d'emplois enregistrées en 2019 (+210.000 dans le privé) en dépit d'une croissance économique modeste.
Chômage des jeunes élevé
La baisse du chômage est également due à une moindre progression de la population active. Le taux d'activité, soit la part des 15-64 ans qui travaillent ou sont au chômage, est quasi stable sur un an à 71,8%.
"Pendant des années, la hausse du taux d'activité était portée par la progression de l'emploi des femmes et des seniors mais ces moteurs semblent moins forts aujourd'hui. Les effets de la dernière réforme des retraites sur l'emploi des seniors ont principalement eu lieu entre 2010 et 2015 et s'atténuent", explique M. Larrieu.
Parmi les autres tendances positives, le léger recul du chômage de longue durée (plus d'un an) de 0,4 point sur un an, même si cela représente encore 965.000 chômeurs.
La part du sous-emploi, c'est-à-dire des personnes qui souhaitent travailler davantage, comme des employés à temps partiel, est aussi en recul sur un an de 0,5 point.
Si le taux de chômage diminue chez les 25-49 ans et les plus de 50 ans, il repart à la hausse en revanche chez les 15-24 ans (+0,7 point) où il atteint 20%.
La baisse enregistrée par l'Insee vient en tout cas confirmer le recul du nombre de demandeurs d'emploi sans activité inscrits à Pôle emploi qui a diminué de 120.700 en 2019, à 3,5 millions.
Les deux indicateurs vont dans le même sens même s'ils ne mesurent pas la même chose: alors que Pôle emploi recense les personnes inscrites dans ses fichiers, l'Insee sonde chaque trimestre 110.000 personnes de plus de 15 ans.
Sont considérés comme chômeurs au sens du BIT ceux qui réunissent trois critères: ne pas avoir eu d'activité rémunérée au cours d'une semaine de référence, être disponible pour occuper un emploi dans les 15 jours et avoir recherché activement un emploi dans le mois précédent (ou en avoir trouvé un commençant dans moins de trois mois).
Par ailleurs, l'Insee compte 1,7 million de personnes dans "le halo autour du chômage", c'est-à-dire qu'elles souhaitent un emploi mais ne sont pas considérées au chômage car elles ne sont pas disponibles immédiatement.
Comment le chômage peut-il autant reculer avec une croissance en baisse ?
Une croissance en fort recul et un chômage qui baisse nettement: c'est le paradoxe apparent de l'économie française en 2019. Un phénomène qui s'explique notamment par l'évolution du type d'emplois créés et les réformes du marché du travail.
Selon les données publiées jeudi par l'Insee, le taux de chômage a nettement baissé en 2019 pour s'afficher à 8,1% fin décembre, tiré en particulier par les créations nettes d'emplois, qui ont atteint 210.000 dans le privé, après 230.000 en 2018.
Une performance remarquable dans un contexte de croissance en net repli: le PIB français n'a progressé que de 1,2% l'an dernier, après 1,7% en 2018.
Comment expliquer cette déconnexion entre croissance et emploi, quand depuis des décennies les responsables politiques et les économistes jugeaient que pour réduire le chômage, il fallait avant tout soutenir l'activité ?
D'abord, "il y a en général un petit décalage temporel entre un fléchissement de l'activité ou une accélération de l'activité et sa répercussion en terme d'emploi", note Julien Pouget, chef du département de la conjoncture de l'Insee. La baisse du chômage de l'an dernier illustrerait ainsi les bonnes performances de l'économie française en 2017 (2,4% de croissance) et dans une moindre mesure en 2018 (1,7%).
Mais les fortes créations nettes d'emplois enregistrées en 2019, et plus largement depuis 2016, presque un million cumulé, s'expliquent aussi sans doute selon lui "par un effet des politiques publiques" prises ces dernières années, par exemple la transformation du CICE en baisse durable de cotisations sociales début 2019.
D'autres mesures plus anciennes, comme la loi El-Khomri en 2016 et les ordonnances adoptées en début de quinquennat d'Emmanuel Macron "ont probablement eu un rôle", en particulier le plafonnement des indemnités prud'homales en cas de licenciement "qui réduisent l'incertitude et qui font que les entreprises embauchent plus facilement", avance aussi Philippe Waechter, chef économiste chez Ostrum Asset Management.
"C'est un succès décisif pour la France et c'est un succès décisif pour la politique économique que nous menons depuis maintenant près de trois ans", s'est d'ailleurs félicité jeudi sur RMC/BFMTV le ministre de l'Economie, Bruno Le Maire.
Emplois morcelés
Toutefois, les économistes rappellent que ce phénomène d'une croissance peu brillante associée à d'importantes créations d'emploi s'explique aussi par une évolution structurelle du marché du travail.
Avec le temps, la croissance française, comme celle de nombreux pays développés, est devenue plus riche en emplois, du fait de moindre gains de productivité du travail. En d'autres termes, pour une même augmentation du PIB, on crée aujourd'hui plus d'emplois qu'auparavant.
C'est une "tendance de fond" liée à "la montée en puissance des jobs morcelés de services à faible productivité liés notamment aux services à la personne, à la logistique, au gardiennage", détaille dans une note récente Alexandre Mirlicourtois, directeur des études chez Xerfi.
Et alors que la population active, c'est-à-dire la population en âge de travailler, augmente moins vite ces dernières années, "en période de croissance, il faut aujourd'hui moins de 100.000 créations d'emplois pour diminuer le nombre de chômeurs, quand il en fallait 2 à 300.000 dans les années 2000", ajoute-t-il.
Alors cette situation peut-elle se poursuivre à l'avenir? Pour Philippe Waechter, qui table sur une croissance inférieure à 1% cette année, "on ne peut pas imaginer que l'emploi soit aussi dynamique qu'en 2019". "On va toujours avoir un effet positif lié à la politique économique (...) mais les marges des entreprises vont être un peu plus basses puisqu'on supprime l'effet du crédit d'impôt donc ça va être un peu plus compliqué" pour elles de recruter, ajoute-t-il.
D'ailleurs, la Banque de France anticipe une nette baisse des créations d'emplois dans les prochaines années (153.000 en 2020, puis 82.000 en 2021).