Après "des décennies de chômage de masse", "personne aujourd'hui ne peut sérieusement soutenir que notre droit, et notre droit du travail en particulier, favorise aujourd'hui l'embauche", ni qu'il "protège efficacement et qu'il aide au développement efficace, durable des entreprises", a déclaré le Premier ministre lors d'une conférence de presse.
Les cinq ordonnances présentées jeudi se proposent donc "de rattraper les années perdues, les années de rendez-vous manqués, peut-être mal négociés, peut-être mal expliqués, peut-être mal compris, mais toujours repoussés ou affadis", a-t-il estimé.
Depuis Matignon, en compagnie de la ministre du Travail Muriel Pénicaud, M. Philippe a développé les "quatre axes" de ces ordonnances.
Le premier vise au "développement massif du dialogue social dans l'entreprise et dans la branche. L'entreprise sera désormais le niveau essentiel du dialogue social, grâce à la mise en place des accords majoritaires. Mais comme l'ont demandé nos interlocuteurs, nous avons dans le même temps précisé et enrichi le rôle de la branche", a déclaré le Premier ministre. Branches qui seront "restructurées, pour certaines elles seront fusionnées, mais elles seront toutes renforcées", a dit le chef du gouvernement.
Par ailleurs, "ce dialogue dans l'entreprise se déroulera dans une seule instance, le comité social et économique, au lieu des trois qui prévalent aujourd'hui dans les entreprises de plus de cinquante salariés", a ajouté M. Philippe.
Le deuxième axe est la "construction de vraies garanties pour tous. C'est notamment la question du barème des dommages et intérêts. Notre objectif est simple, il s'agit de favoriser la création d'emplois en apportant beaucoup plus de sécurité et de visibilité au chef d'entreprise dans sa décision d'embaucher, et plus de garantie aux salariés", a expliqué le Premier ministre.
Troisièmement, "la volonté d'apporter des solutions adaptées aux TPE et aux PME qui constituent le plus vaste gisement d'emploi dans notre pays", "plus de la moitié des salariés". La réforme vise à "accéder à une capacité de discussion à l'intérieur de ces entreprises pour négocier des accords collectifs, alors même qu'elles n'ont généralement pas de représentation syndicale et parfois pas d'élu du personnel", a dit M. Philippe.
"Dernier axe, le renforcement de l'attractivité économique de notre territoire", "les entreprises, en particulier celles soumises à une concurrence très forte, doivent pouvoir organiser une gestion prévisionnelle des emplois".
Enfin, a dit M. Philippe, "une des cinq ordonnances rendra la prise en compte de la pénibilité enfin possible".
"Nous avons trouvé le mécanisme qui permettra de garantir les droits acquis, de mettre en oeuvre de façon effective ces droits actifs, et en même temps de simplifier la vie des chefs d'entreprises", a-t-il dit.
Après plusieurs semaines de "concertation" semblables à "une course de fond", M. Philippe en a profité pour "remercier" les organisations syndicales "du caractère direct, respectueux et intelligent des échanges".
"Personne ne s'est renié dans ces discussions. Toutes les choses ont été dites. Il y a des divergences, nous les assumons", a-t-il souligné en anticipant de futures contestations.
"Chacun est libre d'être pour ou d'être contre les textes que nous proposons. C'est normal, c'est le propre d'une vie démocratique intense", a-t-il poursuivi avant de prévenir: "encore faudra-t-il que ces désaccords s'expriment dans le cadre prévu à cet effet dans le cadre démocratique".
Les principales mesures de la réforme du travail
Plafonnement des indemnités prud'homales, négociation sans syndicats dans les PME, fusion des instances, ruptures conventionnelles collectives... Voici les principales mesures figurant dans les ordonnances réformant le droit du travail, dévoilées jeudi par le gouvernement :
Barème des indemnités prud'homales
Le plafond de dommages et intérêts sera fixé à un mois de salaire en-dessous d'un an d'ancienneté. Il augmente d'un mois par année jusqu'à 10 ans, puis d'un demi-mois par année. Il ne pourra dépasser 20 mois au-delà de 28 ans d'ancienneté.
Pour les TPE (moins de 11 salariés), le plancher sera fixé à 15 jours à partir d'un an d'ancienneté. Il augmentera progressivement, pour atteindre deux mois et demi à partir de neuf ans d'ancienneté.
Dans les autres entreprises, le plancher sera fixé à un mois à partir d'un an d'ancienneté, puis à trois mois à partir de deux ans d'ancienneté.
Le barème ne s'appliquera pas pour les cas de "violation d'une liberté fondamentale". Dans ce cas, l'indemnité ne pourra être inférieure à six mois de salaire.
Indemnités légales de licenciement
Les indemnités légales de licenciement sont augmentées à 1/4 de mois de salaire par année d'ancienneté, contre 1/5 de mois aujourd'hui. Cela correspond à une hausse de 25%.
Clémence pour les vices de forme
En cas de vice de forme lors d'un licenciement, la sanction ne peut excéder un mois de dommages et intérêts. Le vice de forme n'empêche pas un examen du dossier sur le fond.
Pour éviter les erreurs de procédure, les employeurs et salariés auront accès à un formulaire-type indiquant les droits et devoirs de chaque partie lors d'un licenciement.
Ruptures conventionnelles collectives
Les entreprises pourront, par accord homologué par l'administration, définir un cadre commun de départs volontaires. Les ruptures conventionnelles, séparation à l'amiable entre un salarié et son entreprise, ne peuvent être conclues aujourd'hui qu'individuellement. Elles donnent droit à l'assurance chômage.
Licenciements économiques
Les difficultés économiques des groupes qui licencient en France seront appréciées au niveau de leur secteur d'activité au territoire national, au lieu du périmètre monde aujourd'hui fixé par la jurisprudence.
Délai de recours après un licenciement
Les salariés licenciés n'auront qu'un an pour saisir les prud'hommes. Jusqu'à présent, ils avaient un an en cas de licenciement économique, mais deux ans pour les autres licenciements.
Dialogue social des TPE-PME
Jusqu'à 11 salariés, l'employeur pourra soumettre à référendum un projet d'accord sur l'ensemble des thèmes ouverts à la négociation d'entreprise. Pour être validé, l'accord devra être approuvé par les deux tiers du personnel. Cette possibilité est également offerte aux entreprises de 11 à 20 salariés sans élus du personnel.
Entre 11 et 49 salariés, l'employeur pourra, en l'absence de délégués syndicaux, négocier avec un élu non mandaté par un syndicat.
TPE/PME prises en compte par les branches
Les accords de branches devront comporter des dispositions spécifiques pour les entreprises de moins de 50 salariés ou justifier leur absence.
Fusion des instances représentatives du personnel
Dans les entreprises d'au moins 50 salariés, les ordonnances fusionneront délégués du personnel (DP), comité d'entreprise (CE) et comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) dans un "comité social et économique". Celui-ci conservera les compétences des trois instances, pourra ester en justice.
Une commission santé, sécurité et conditions de travail, de type CHSCT, subsistera dans les entreprises d'au moins 300 salariés. En-dessous de 300 salariés, l'inspection du travail pourra imposer la création d'une telle commission si elle le juge nécessaire.
Par accord majoritaire, il sera possible d'y fusionner les délégués syndicaux (DS), et donc la compétence de négociation. L'instance unique ainsi créée sera nommée "conseil d'entreprise".
Les primes négociées dans les entreprises
Les entreprises pourront, par accord majoritaire, négocier les primes, qui sont aujourd'hui du domaine de la branche professionnelle.
CDD et "CDI de chantier"
Les branches professionnelles pourront notamment modifier par accord la durée, le nombre de renouvellements et la période de carence des CDD, aujourd'hui fixés uniquement par la loi.
Elles pourront aussi, par accord, autoriser le recours au CDI de chantier, un contrat aujourd'hui réservé à la construction qui peut se terminer une fois un chantier achevé.
Généralisation de l'accord majoritaire
La règle de l'accord majoritaire (signé par des syndicats représentant plus de 50% des salariés) dans les entreprises sera généralisée dès le 1er mai 2018, au lieu du 1er septembre 2019, date prévue dans la loi El Khomri.
L'accord majoritaire ne s'applique aujourd'hui qu'aux sujets relatifs à la durée du travail. Dans les autres domaines, la signature de syndicats minoritaires représentant 30% des salariés suffit, si des syndicats majoritaires ne s'opposent pas.
Primauté de l'accord collectif sur le contrat
Les salariés licenciés pour avoir refusé l'application de certains types d'accords (réduction du temps de travail, maintien de l'emploi, préservation et développement de l'emploi...) bénéficieront d'un abondement de 100 heures de formation financées par l'employeur sur leur compte personnel de formation (CPF).
Quel que soit le type d'accord refusé, le licenciement suivra les modalités des licenciements individuels pour motif économique. Aujourd'hui, selon l'accord, le motif de licenciement et l'accompagnement des salariés diffèrent.
La réaction de la CGT : "toutes nos craintes sont confirmées"
Le secrétaire général de la CGT, Philippe Martinez, a déclaré que "toutes les craintes" de son syndicat au sujet des ordonnances sur le code du travail étaient "confirmées" après leur présentation jeudi matin aux partenaires sociaux.
"Toutes les craintes que nous avions sont confirmées et la crainte supplémentaire c'est évident et c'est écrit: c'est la fin du contrat de travail", a-t-il estimé, appelant "les travailleurs, les retraités et les jeunes à aller dans la rue le 12 septembre", date où la CGT appelle à une journée de mobilisation.
"Ce qu'on nous présentait comme une révolution, c'est la continuité de ce qui a été fait précédemment", a ajoute M. Martinez en référence à la loi El Khomri, en soulignant que "la mauvaise surprise ce sont les ruptures conventionnelles collectives". "Est ce que c'est une façon d'éviter un PSE (plan de sauvegarde de l'emploi)? s'est-il interrogé.
De son côté, le secrétaire général de FO, Jean-Claude Mailly, a affirmé qu'il restait "des points de désaccord" après ces "trois mois de concertation" entre le gouvernement et les partenaires sociaux et que son syndicat allait maintenant "examiner attentivement les textes".
"Nous avons toujours dit qu'il y avait trois colonnes: ce que nous obtenons, ce que nous avons évité et ce sur quoi nous sommes en désaccord, il y a des éléments des trois", a-t-il répété.
"On consolide la branche" mais "il reste un problème sur les primes et "il reste des points de désaccord", a-t-il dit, citant la possibilité pour les entreprises de moins de 20 salariés de négocier avec un employé non élu et non mandaté par un syndicat, a-t-il précisé.
Asselin (CPME) salue une réforme "particulièrement pragmatique"
Le président de la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME) François Asselin a salué jeudi les ordonnances sur le code du travail présentées par le gouvernement, jugeant la réforme élaborée par l'exécutif "particulièrement pragmatique".
"Sur le champ social, beaucoup de nos propositions ont été retenues", a déclaré François Asselin à la sortie d'une réunion entre le gouvernement et les partenaires sociaux à Matignon.
"Bien souvent, nous avons été douchés dans ce genre d'exercice, avec parfois un pas en avant et deux pas en arrière. Mais aujourd'hui, nous avons des ordonnances particulièrement pragmatiques, qui collant à la réalité du terrain", a-t-il souligné.
Selon le dirigeant patronal, la réforme "n'enlève rien à l'équilibre de la sécurité dont ont besoin les salariés, malgré tout ce qu'on peut entendre, et en même temps à l'envie, à la confiance dont ont besoin les chefs d'entreprise pour entreprendre dans notre pays".
Dans le détail, la CPME a salué dans un communiqué la possibilité, en l'absence de syndicat, de négocier des accords majoritaires avec les représentants du personnel dans les PME jusqu'à 50 salariés. Une évolution qui constitue selon elle "une avancée majeure qui favorisera le dialogue social au sein de l'entreprise".
En parallèle, les branches professionnelles, "qui auront désormais l'obligation de prendre en compte les TPE dans leurs accords, conserveront leur rôle de régulation évitant ainsi une forme de distorsion de concurrence entre grandes et petites entreprises d'un même secteur", s'est-elle encore félicitée.
Autre sujet de satisfaction pour l'organisation patronale, la fusion des Instances de Représentation du Personnel (IRP) en "comité économique et social" ou encore la mise en place d'un barème des indemnités réparatrices de préjudice en cas de condamnation pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, a précisé le communiqué.
La réduction du délai possible de recours aux prud'hommes de 2 à 1 an, lève quant à elle "partiellement une épée de Damoclès qui pesait sur la tête des employeurs".
La CPME a toutefois regretté que la question des seuils sociaux n'ait pas été "directement traitée" et a déploré l'augmentation de l'indemnité légale de licenciement.
L'U2P (artisans) "pleinement satisfaite"
L'Union des entreprises de proximité (U2P), qui rassemble artisans, commerçants et professions libérales, s'est dite jeudi "pleinement satisfaite" par les ordonnances sur le code du travail, perçues comme un "message très fort" en faveur des chefs d'entreprise.
"Aujourd'hui, je dois vous dire notre satisfaction d'avoir été entendu sur la quasi-totalité des points que nous avions soulevés", a déclaré Alain Griset, président du mouvement patronal, à la sortie d'une réunion entre gouvernement et partenaires sociaux à Matignon.
"Pour nos entreprises, c'est un message très fort, un message d'espoir", qui leur permettra "demain" d'avoir "un environnement qui soit plus propice" à leur activité, a poursuivi M. Griset, avant de détailler les mesures qu'il estime favorables aux artisans et aux professions libérales.
Parmi elles : la réduction du délai possible de recours aux prud'hommes de deux à un an, mais aussi l'articulation choisie entre accords de branches et accords d'entreprises pour les discussions sur les minima conventionnels, les primes ou les caractéristiques des CDD.
"L'accord de branches reste prioritaire, avec la possibilité pour nos entreprises de déroger" aux règles de branches "en fonction de leurs besoins et de leurs priorités, ce qui était pour nous extrêmement important", a souligné M. Griset.
"Sur la question des procédures prud'homales, la ministre a bien indiqué que les erreurs de formes ne seraient plus sanctionnées, et que donc il n'y a plus que le fond qui serait pris en considération", a-t-il ajouté.
Dans un communiqué, l'U2P s'est par ailleurs félicitée de "l'instauration d'un plancher tenant compte de la taille de l'entreprise et d'un plafond d'indemnisation des licenciements irréguliers ou sans cause réelle et sérieuse" pour les indemnités prud'homales.
Ces différentes mesures "ne suffiront pas à elles seules à créer immédiatement un vaste mouvement d'embauches mais contribueront à rétablir la confiance des 2.300.000 chefs d'entreprise artisanales", a-t-elle développé.
Un message relayé par le Syndicat des indépendants (SDI), qui a exprimé dans un communiqué sa "satisfaction sur de nombreux points contenus dans les ordonnances".
"Il conviendra de vérifier la traduction précise dans le processus législatif et règlementaire à venir", a toutefois mis en garde l'organisation, qui entend représenter les entreprises de moins de 20 salariés et revendique 25.000 adhérents.