Comme l'a dévoilé l'hebdomadaire Marianne, une enquête préliminaire a été lancée par le parquet national financier (PNF) après un signalement de la Cour des comptes visant la Société du Grand Paris (SGP), l'établissement public chargé de construire le futur métro automatique autour de la capitale, le Grand Paris Express, a appris l'AFP de source proche du dossier.
Dans un rapport rendu public le 17 janvier 2018, la Cour des comptes avait dressé un diagnostic sévère sur les dérapages financiers du projet pharaonique, en déplorant aussi "une rigueur insuffisante dans la gestion des marchés".
Outre des "coûts prévisionnels" qui "n'ont cessé de dériver", passant de 20 à 38 milliards d'euros, les gendarmes des deniers publics avaient également épinglé des "procédures de passation de marchés inégalement respectées", "parfois contournées", nourrissant des suspicions de favoritisme.
Ainsi, la Cour a "identifié des marchés pour lesquels les procédures et les grands principes de mise en concurrence n'avaient pas été respectés, soit en attribuant un marché à une entreprise dont l'offre aurait dû être rejetée pour irrecevabilité, soit en modifiant en cours de procédure les modalités de calcul des offres financières ce qui a eu pour effet de modifier l'ordre de sélection des candidats", selon son rapport.
Ces soupçons ont conduit l'association anticorruption Anticor à saisir la justice le 12 juin 2018 mais elle n'avait pas donné suite à sa demande d'ouverture d'enquête, dans l'attente d'"éventuels éléments complémentaires" et d'un signalement de la Cour des comptes, selon les extraits d'un courrier du parquet national financier (PNF) publié sur le site d'Anticor.
"13 milliards de dérapage"
Par la suite, Anticor avait écrit le 15 novembre 2018 à la Cour des comptes pour lui demander de transmettre un signalement au PNF. "Nous sommes très satisfaits que cette enquête soit ouverte sur cette affaire hors-norme qui porte sur un budget total de plus de 38 milliards d'euros dont 13 milliards de dérapages et avec 164 marchés publics passés sans aucune mise en concurrence", a réagi auprès de l'AFP le président d'Anticor, Jean-Christophe Picard.
Quatre lignes nouvelles de métro automatique, numérotées de 15 à 18, ainsi que des prolongements de la ligne 14.... Initialement estimé à 20 milliards d'euros, le projet-monstre avait déjà été réévalué à 35 milliards en 2017, retardant la construction de plusieurs lignes.
Au final, les estimations de départ se sont révélées "fragiles" et le coût total du Grand Paris Express pourrait s'envoler à 35,08 milliards d'euros voire même 38,48 milliards d'euros, en y ajoutant les "contributions financières" de la SGP à d'autres projets franciliens de transport, selon la Cour des Comptes.
Dans cette fourchette très haute, la facture présenterait alors un surcoût de 12,46 milliards par rapport à l'objectif fixé par le gouvernement en mars 2013.
Les délais de construction du réseau de quelque 200 km, imposés par l'échéance des jeux Olympiques de Paris 2024 ont aussi fait gonfler la facture alors que le projet prévoyait initialement une mise en service étalée entre 2020 et 2030. La Cour des comptes décrivait "une volonté coûteuse et très risquée de resserrer le calendrier".
Depuis sa création en 2010 et jusqu'au 31 décembre 2016, la SGP a passé près de 770 marchés, soit un rythme de passation de plus de 100 marchés par an, précisait notamment la Cour des comptes dans son rapport.
La Société du Grand Paris va collaborer avec la justice
La Société du Grand Paris (SGP) a indiqué jeudi qu'elle était prête à collaborer avec la justice dans le cadre de cette l'enquête.
"La Société du Grand Paris a appris par voie de presse l'ouverture d'une enquête préliminaire du Parquet national financier. Si cette information devait être confirmée, la Société du Grand Paris mettrait évidemment à disposition des enquêteurs les éléments demandés avec l'exigence de faciliter le bon déroulement de cette procédure", a indiqué un porte-parole à l'AFP.
Thierry Dallard, ingénieur normalien, a depuis été mis à la tête de l'établissement public pour y remettre de l'ordre et achever le chantier en tenant les coûts.
Le ministère des Transports n'a pas souhaité faire de commentaires, pas plus qu'Ile-de-France Mobilités, l'autorité régionale qui devra en gérer l'exploitation et finance le matériel roulant.
"Dans un message adressé aux collaborateurs, le président (Thierry Dallard) a renouvelé sa confiance aux équipes plus que jamais engagées dans la réalisation du Grand Paris Express", a indiqué le porte-parole jeudi.