Poussant leurs brouettes, une poignée d'ouvriers charrie sable, ciment et gravats pendant que d'autres creusent et martèlent, dos courbé ou à genoux. Le bruit des marteaux-piqueurs cesse quand retentit l'appel à la prière de la myriade de mosquées de la médina.
Ces travaux interviennent au moment où la Libye connaît une embellie politique avec la désignation d'un gouvernement chargé d'unifier les institutions et d'organiser des élections nationales en décembre, après une décennie de conflit.
Les travaux, initiés fin 2020, visent à "préserver le patrimoine et l'histoire de la vieille ville", un "joyau architectural", souligne Mahmoud al-Naas, directeur du comité de gestion de la médina, qui s'étend sur une cinquantaine d'hectares.
L'"énorme" chantier, dont on ne sait encore quand il finira, s'accompagne d'une "lourde responsabilité", assure le directeur du comité, financé par le gouvernement.
"Il n'y a plus un parpaing qui entre sans la supervision du comité" car, contrairement aux travaux passés, ceux en cours bannissent des matériaux comme le ciment ou le béton et privilégient les matériaux traditionnels comme le basalte pour paver les rues.
"Âme"
Fondée par les Phéniciens au VIIe siècle avant J.-C., la médina de Tripoli a connu l'influence de plusieurs civilisations (romaine, grecque, ottomane), chacune laissant son empreinte architecturale.
Mais, à partir des années 1970, sous Kadhafi, la médina perd de son âme lorsqu'elle est vidée de ses illustres familles par le dictateur, déterminé à détruire leur statut social. Ces habitants s'installent extramuros.
Et quand Kadhafi décide de s'en prendre au secteur privé --confisquant habitations et boutiques, et imposant une gestion étatique de certaines institutions--, nombre de magasins et ateliers d'artisans baissent le rideau. La médina tombe alors en ruines.
"Il y a tant de métiers perdus", déplore le hajj Mokhtar, un vieux commerçant à la barbe blanche. Spécialisé dans les tenues traditionnelles masculines, il regrette que certaines pièces soient aujourd'hui importées de l'étranger.
Pour Mohamad al-Ghariani, un artiste peintre de 76 ans propriétaire d'une galerie d'art dans la médina, les travaux "ressuscitent l'âme de la ville telle que nous l'avons connue enfants".
"La restauration progresse de quartier en quartier, un monument à la fois comme pour Dar Crista", bâtiment du nom d'un artiste de la vieille ville, dont la restauration doit durer cinq mois.
Témoin de la diversité culturelle de Tripoli, Dar Crista, dont une partie héberge toujours l'église gréco-orthodoxe Saint-Georges, a été construit en 1664 par Osmane Pacha, descendant de la dynastie ottomane des Qaramanli, pour servir de prison pour les captifs chrétiens.
Au fil des années, seules les parties de l'est de la ville, où se situent la citadelle, convertie en musée, et les marchés de l'or et de la soie ont résisté aux outrages du temps. Là, sous les allées couvertes ou les arcades bordant les boutiques, des clients font leurs emplettes.
Et puis il y a le plus célèbre des arrières-plan des photos-souvenir: l'Arc romain de Marc Aurèle, près de l'entrée nord-est de la médina, ses dattiers et le minaret de la mosquée Gurgi.
"Communauté"
Des coins délaissés de la ville, décharges à ciel ouvert, sont devenus d'immenses chantiers supervisés par des architectes, historiens, artisans et artistes. "L'avis et l'expertise de tous comptent", estime al-Mahdi Abdallah, un habitant.
Laissés à l'abandon, de nombreux bâtiments étaient squattés et se sont transformés en constructions anarchiques, voire en ruines.
Par endroits, les murs de vieux bâtiments qui attendent d'être rafraichis sont supportés par des poutres en bois traversant les ruelles exiguës.
Le front de mer, au nord de la médina, a lui désormais des trottoirs et une route goudronnée. Plus de stationnement anarchique ou de nids-de-poule qui transforment la rue en une allée boueuse les jours de pluie.
Dans sa boutique de matériel de pêche et de plongée, Mohamad Nasser se réjouit: "La médina nous revient. Il était temps!"