"C'est une maison qui a quasiment cent ans et qui n'avait jamais bougé", raconte Christelle Chaloyard, à Savigny-en-Revermont (Saône-et-Loire). "Au début on ne s'est pas trop inquiétés", mais les murs sont aujourd'hui parcourus de crevasses, larges parfois de plusieurs centimètres.
Cette maison "ne vaut plus rien". "On ne pourra pas la vendre, ni la garder pour rénover; ce sont nos souvenirs qui s'envolent", se désole cette femme de 43 ans, qui a grandi dans cette habitation située à l'écart du village, où son père vit seul aujourd'hui.
Savigny-en-Revermont est l'une des 262 communes de Saône-et-Loire où l'état de catastrophe naturelle a été récemment reconnu par le gouvernement en raison de la sécheresse de 2018. Dans toute la France, plus de 3.000 communes sont concernées.
En cause: le mouvement des sols argileux, qui gonflent avec l'humidité en fin d'hiver et qui, à partir du printemps et en été, vont se rétracter sous l'effet d'une moindre pluviométrie et de l'augmentation de la chaleur.
Expansion géographique
"Ces trois, quatre dernières années, on a eu presque chaque année des épisodes un peu chauds et secs", explique Sébastien Gourdier, géotechnicien du Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM).
Les régions touchées par le "retrait-gonflement" des sols argileux ne sont pas toujours les mêmes, poursuit le spécialiste: "En 2017, c'était le sud de la France et la région PACA, en 2018, plutôt le centre et l'est (du pays) et le sud de l'Ile-de-France."
A la clé pour les propriétaires, des problèmes d'étanchéité à l'air ou à l'eau, de perte de valeur des habitations, et des travaux souvent coûteux, selon le géotechnicien, mais un risque d'effondrement qui reste selon lui très rare.
Depuis une trentaine d'années, "le sud-ouest de la France est pas mal touché" par des arrêtés de catastrophe naturelle, mais "on a vu apparaître des demandes de reconnaissance dans des régions jusque-là plutôt épargnées", comme le Grand-Est ou la Bourgogne-Franche-Comté.
Une expansion géographique amenée à durer, selon l'expert du service géologique national: "il y a beaucoup d'incertitudes, mais les tendances vont dans le sens d'une augmentation de la fréquence de ces épisodes de sécheresse ou de la durée de ces épisodes caniculaires".
Le nombre important de communes touchées en 2018, s'il peut encore évoluer, en fait déjà une année comparable à l'épisode de sécheresse sévère de 2003.
Micropieux
Pour Sandrine Orts, référente départementale des "Oubliés de la canicule", une association qui défend dans 22 départements les propriétaires de maisons endommagées, l'arrêté de catastrophe naturelle n'est qu'une première étape.
"On va pouvoir appeler les assurances, faire la déclaration", mais "ce n'est pas un long fleuve tranquille: l'assurance va envoyer un expert pour voir les dégâts, dire si c'est (causé par) la sécheresse ou pas".
L'association recommande aux propriétaires concernés d'exiger une étude de sols dite "G5", qui permet d'exiger une réparation durable sans se contenter de réparations superficielles.
Les travaux coûtent souvent plusieurs dizaines de milliers d'euros et dépassent, parfois, le prix de la maison. Dans certains cas, l'injection de résine expansive suffira pour consolider les fondations.
Dans d'autres, plus sévères, il faudra installer des micropieux sous les fondations, sortes de pilotis constitués d'une armature métallique dans laquelle on envoie un coulis de ciment, pouvant descendre jusqu'à 18 mètres de profondeur.
Pour les bâtiments neufs, une étude géotechnique obligatoire est prévue dans une loi de novembre 2018, censée participer à une meilleure prise en compte de la composition argileuse des sols.
Mais selon un rapport du Sénat sur le sujet daté du 3 juillet, "à l'heure actuelle, aucune sanction n'est mise en place en cas de non-réalisation de cette étude géotechnique".
L'épineuse question de l'indemnisation des propriétaires
Délais de traitement trop longs, critères d'éligibilité incompréhensibles: l'indemnisation des propriétaires de maisons fissurées à cause de la sécheresse est au coeur des préoccupations des sinistrés mais aussi des sénateurs et des professionnels de l'assurance.
"Les assurances vont tout faire pour minimiser les faits, pour ne pas payer", estime Gérald Grosfilley, président de l'association "Les oubliés de la canicule", qui défend des sinistrés dans 22 départements et appelle ses adhérents à exiger une étude de sols dite "G5" pour obtenir une réparation durable.
Le responsable associatif dénonce aussi le fait que la reconnaissance de catastrophe naturelle par le gouvernement, indispensable pour faire appel aux assurances, intervienne un an, parfois davantage, après le sinistre ou encore que certaines communes en soient exclues, selon lui sans raison apparente.
"Si on n'arrive pas à avoir l'arrêté, les gens sont ruinés. On a un partenariat avec un avocat de Bordeaux pour les communes qui seront rejetées, afin d'attaquer l'Etat. On ne pourra pas admettre qu'une commune à 10 kilomètres près soit reconnue et d'autres pas", prévient-il.
Le Sénat a admis, dans un rapport publié le 3 juillet, que le système d'indemnisation des victimes de catastrophes naturelles devait être réformé, en particulier pour les sinistrés consécutifs aux épisodes de sécheresse.
Plus de 4 millions de maisons seraient "potentiellement très exposées" à ce phénomène qui "diffère considérablement des autres risques naturels (...) en ce qu'il n'est, le plus souvent, pas soudain et n'expose pas à très court terme les habitants à des risques mortels", selon le rapport.
Ce document préconise une procédure de reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle plus transparente et plus rapide et envisage de mobiliser le Fonds de prévention des risques naturels majeurs (FPRNM), ou "fonds Barnier".
Car les reprises en sous-oeuvre coûtent "en moyenne entre 35 et 75.000 euros" et ces travaux "ne peuvent être intégralement supportés par les propriétaires", estime le rapport, ajoutant que "les assurances sont le plus souvent très réticentes à engager de tels travaux".
De leur côté, les assureurs se préparent au fait que "la sécheresse va être le sinistre dont le coût va croître le plus rapidement dans les prochaines années", affirmait fin juillet Stéphane Pénet, directeur des assurances de biens et de responsabilité au sein de la Fédération française de l'assurance (FFA).
Les maisons fissurées à cause de la sécheresse constituent "un sinistre dont on parle peu et qui pourtant coûte très cher pour l'assurance", avait-il indiqué, en chiffrant entre 700 et 900 millions d'euros par an les dégâts assurés.
"En 2003, l'épisode de sécheresse extrêmement sévère s'est traduit par des dégâts (...) qui ont coûté 2,3 milliards d'euros aux assureurs", avait-il rappelé.