D'un côté, le plus grand musée du monde, ancien palais des rois de France et de deux empereurs, siège du tout puissant ministère des Finances. De l'autre, un brillant architecte sino-américain qui n'a pratiquement construit qu'aux Etats-Unis : la rencontre entre ces deux univers semblait hautement improbable.
Et elle n'aurait sans doute jamais eu lieu sans François Mitterrand qui décide de confier à Pei, en juillet 1983, l'un des grands chantiers les plus délicats et les plus symboliques de son premier septennat.
Le président socialiste avait été séduit par la nouvelle aile de la National Gallery de Washington, construite par Pei en 1978, découverte lors d'un voyage aux Etats-Unis comme Premier secrétaire du Parti socialiste.
Né à Canton, Ieoh Ming Pei, au sourire malicieux derrière des lunettes rondes, a été formé à l'école rationaliste, d'abord au MIT (Massachusetts Institute of Technology), puis à Harvard (1948) où il fut l'élève de Walter Gropius, fondateur du Bauhaus.
C'est non seulement le premier projet en Europe du lauréat 1983 du prix Pritzker , le "Nobel de l'architecture", mais également la première fois qu'il intervient dans un monument aussi chargé d'histoire.
Face au Louvre, il part d'un constat simple : "C'est un étrange musée dont l'entrée est invisible parce que latérale. Il lui faut une entrée centrale". Il imagine donc un complexe souterrain avec des éclairages zénithaux, mais la première mouture ne comporte pas de pyramide, seulement un accès par une rampe.
Dès la présentation de la maquette, la critique se déchaîne, menée par les quotidiens Le Figaro et Le Monde, sous la plume de l'historien d'art André Fermigier.
Affrontement idéologique
Aujourd'hui encore, l'ancien ministre français de la Culture Jack Lang se dit "surpris par la violence des opposants". La contestation est encore plus virulente que pour le Centre Pompidou, établissement parisien inauguré en 1977, pourtant bien plus avant-gardiste que le Grand Louvre.
"La pyramide s'inscrivait dans un monument central de l'histoire de France et dans une période d'affrontement idéologique très fort", rappelle Jack Lang, qui a consacré un livre à l'histoire du projet ("Les batailles du Grand Louvre", 2010, éditions de la RMN).
L'un des épisodes les plus pénibles pour Ieoh Ming Pei a été son passage devant la Commission supérieure des monuments historiques en janvier 1984. L'ambiance est houleuse, confinant au racisme anti-chinois. "Ce fut une séance terrible", a raconté Pei qui n'a même pas pu présenter son projet. "On n'est pas à Dallas ici !", lui lance un des participants.
Certains allaient jusqu'à imaginer une pyramide comme celle de Kheops qui écraserait le site. La transparence restera d'ailleurs une des préoccupations de l'architecte qui fera fabriquer spécialement par la firme française Saint-Gobain un verre réservé jusque là à de toutes petites surfaces.
"Pei avait imaginé le hall sous la pyramide comme un espace entre la ville et les collections, une interface entre l'extérieur et les oeuvres", rappelle le président du Louvre, Jean-Luc Martinez, qui a récemment fait réaménager le lieu avec l'accord de l'architecte.
Pourquoi ces transformations ? Le Grand Louvre avait été conçu pour une fréquentation de 2 millions de personnes. Elles sont près de 9 millions aujourd'hui. "Des changements étaient nécessaires pour rendre la pyramide à son public", assure le patron du Louvre.
"Elle est à la fois le "symbole de la modernité du musée" et "un emblème de Paris à travers le monde". Pour lui, "l'oeuvre de Pei s'est élevée au rang d'icône au même titre que la Joconde, La Vénus de Milo ou la Victoire de Samothrace", oeuvres star du Louvre.