A l'issue de l'audience de plus de trois heures, la juge des référés n'a pas fixé de date sur la décision, attendue en fin de semaine prochaine. Si le Conseil d'Etat décide de suspendre la réforme, son entrée en vigueur prévue le 1er juillet serait à nouveau reportée, une première victoire pour les syndicats. L'instance devrait en parallèle examiner les recours sur le fond, mais cela pourrait prendre plusieurs mois.
Dans l'ambiance feutrée du Conseil d'Etat, les avocats ont plaidé "l'urgence" de la suspension du décret du 30 mars qui réforme le mode de calcul du salaire journalier de référence (SJR), base de l'allocation.
Cela va pénaliser les demandeurs d'emploi alternant chômage et activité, "les permittents" mais le gouvernement affirme que le nouveau calcul, couplé à l'instauration d'un bonus-malus sur les cotisations chômage dans certains secteurs, incitera à lutter contre les recours abusifs aux contrats courts.
Les avocats de FO et de l'Unsa ont plaidé l'urgence comme une "évidence" car "il ne semble pas concevable qu'une décision sur le fond soit rendue avant la fin de l'été". Or, le Conseil d'Etat rechigne à remettre en question des dispositions déjà en vigueur, car cela créerait des recalculés.
"On sait reconstituer des situations", a répondu le représentant du ministère du Travail, contestant une suspension car "il y a un intérêt à ne pas maintenir l'incertitude" sur "une réforme annoncée depuis plusieurs mois".
Sur le fond, les avocats ont contesté que "l'objectif d'intérêt général du gouvernement" - réduire le nombre de contrats courts -, puisse être atteint.
"Les employeurs ne sont pas en mesure de fournir des contrats longs en cette période, c'est un premier fantasme. Deuxième fantasme, le contrat court est un choix des salariés, c'est à la marge", pour l'avocat de la CFDT.
La juge "dubitative"
Sur la défensive, le ministère du Travail a été questionné à plusieurs reprises par la juge sur la possibilité "réaliste" de lutter contre les contrats précaires en sortie de crise, dans des secteurs qui fonctionnent structurellement avec des contrats courts comme les guides conférenciers. "Le découplage" entre l'entrée en vigueur du nouveau mode de calcul et le bonus-malus sur les cotisations de certains employeurs en septembre 2022 a aussi fait débat.
"Procès d'intention et inexactitudes. Il n'y a pas de découplage. La période d'observation des entreprises démarre aussi le 1er juillet", a répondu le représentant du ministère, pour qui "il y a au contraire intérêt à lutter contre la permittence en sortie de crise".
L'exécutif défend aussi un "enjeu d'équité", le système actuel étant plus favorable à ceux qui alternent contrats courts et inactivité qu'à ceux qui travaillent en continu.
Avocats et ministère du Travail se sont opposés également sur les études d'impact de l'Unédic.
Selon l'organisme paritaire, jusque 1,15 million de personnes qui ouvriront des droits dans l'année suivant le 1er juillet toucheraient une allocation mensuelle plus faible (de 17% en moyenne) avec dans le même temps une "durée théorique d'indemnisation" allongée (14 mois en moyenne contre 11 avant la réforme).
En touchant au SJR, "la mécanique a échappé aux mécaniciens", ont résumé les avocats.
"On a une divergence d'analyse avec l'Unédic", n'a pas caché le ministère du Travail. Là encore, la juge s'est dite "dubitative" sur les réponses du gouvernement.
Le Conseil d'Etat avait annulé un premier décret en novembre, en estimant que la réforme pouvait créer une "différence de traitement disproportionnée" entre deux demandeurs d'emploi ayant travaillé une même durée mais selon un rythme différent.
Le gouvernement a en conséquence revu sa copie en plafonnant les jours non travaillés pris en compte, ce qui limite la baisse de l'allocation.
Et il a aussi rédigé un décret rectificatif, paru mercredi au Journal officiel, pour corriger des "effets non voulus" en défaveur des personnes ayant connu des périodes de rémunérations inhabituelles (activité partielle, congés maternité, maladie...).
Autant de "rustines", aux yeux des avocats des syndicats.