La ville de Porto Alegre, au Brésil, a été la première, dès 1989, à associer ses citoyens aux décisions budgétaires, dans une logique de partage des richesses. Près de trois décennies plus tard, elles sont 47 à l'avoir fait en France en 2017, selon une étude réalisée par Antoine Bézard pour son site lesbudgetsparticipatifs.fr. Mais la finalité n'est plus forcément la même.
"Conçus à l'origine pour les populations déshéritées, les budgets participatifs sont surtout utilisés en France aujourd'hui pour recréer du lien entre les habitants et les élus", note Antoine Bézard, même si 30 millions d'euros du budget participatif de Paris sont dédiés chaque année aux quartiers populaires de la capitale.
Les projets présentés, liés en majorité à l'aménagement urbain de base (bancs publics, aires de jeu, pistes cyclables...), sont par ailleurs portés la plupart du temps, selon lui, par "des citoyens déjà bien insérés", d'un "niveau socio-économique supérieur", ou par "des collectifs très informés" qui "inscrivent leurs revendications et leur action dans le cadre institutionnel".
"Truc de bobos ?"
Depuis son bureau lumineux, la maire (PS) de Rennes Nathalie Appéré confie à l'AFP vouloir "tordre le cou à l'idée que les budgets participatifs sont un truc de bobos de centre-ville".
"Lorsque l'on met à disposition des techniciens de la ville pour aider à concevoir les projets, lorsque l'on s'assigne à un nombre minimal de projets par quartier, lorsque l'on veille à ce que les lieux de vote soient diversifiés... Tout cela concourt en réalité à une très grande diversité des projets", assure-t-elle, satisfaite d'avoir vu la participation passer dans sa ville de 7.000 votants en 2016 à plus de 16.000 cette année.
À la rue depuis six ans, Gwen a fait activement campagne ces dernières semaines, "je taxe les gens et j'en profite en même temps pour leur présenter mon projet", pour la création à Rennes d'une bagagerie pouvant permettre aux sans-abri de laisser en sûreté leurs effets personnels.
Bonnet noir, piercings et manteau usé jusqu'à la corde, la jeune femme de 28 ans, ancienne paysagiste, a déroulé avec gouaille ses arguments aux personnes venues entendre, à quelques jours de la clôture du vote, les différents porteurs de projets: "Toute notre vie est sur notre dos (...) Les vols sont fréquents entre SDF et si un sac disparaît, il faut tout recommencer à zéro."
Sa proposition a finalement été retenue parmi les 234 soumises pendant plus de trois semaines au suffrage des Rennais (en ligne ou sur papier) à l'occasion de la troisième édition du budget participatif de la capitale bretonne.
Etre équitable
L'enveloppe qui lui est consacrée est la même depuis 2016: 5% du budget d'investissement de la ville, soit 3,5 millions d'euros ou un peu moins de 17 euros par habitant. C'est en-dessous de celle de Paris (45 euros par habitant), mais dans la moyenne haute des villes françaises concernées.
Dans un préfabriqué coloré installé Place de la mairie, Sylviane Raffray, la soixantaine, a passé minutieusement en revue les différentes propositions avant d'aller glisser son bulletin dans l'urne la semaine dernière: "On est restreint à dix choix. On a tendance à privilégier son propre quartier, mais j'essaie d'être équitable, il faut aussi penser à l'intérêt général."
La nature des projets arrivés jusqu'ici en tête des votes à Rennes trahit cette hésitation entre urbanisme local et actions de solidarité: après des jardins flottants sur la Vilaine en 2016, les Rennais ont voté en 2017 pour une tente dressée sur le plus grand marché de la ville afin de récupérer les invendus et lutter contre le gaspillage alimentaire.