Facture à l'appui, Martine Blanc de Lanaute, 65 ans, n'en revient toujours pas: "295.000 euros d'arriérés d'électricité" pour sa résidence de La Renardière à Coubron, à une vingtaine de kilomètres de Paris.
Dans cette copropriété où flotte "un air de vacances" avec ses 134 appartements qui s'apparentent à des chalets, son aire de jeu, ses jardins et sa route privée bordés de pins, c'est désormais l'"inquiétude" qui domine. Les fonctionnaires ou les retraités qui y logent ne sont pas protégés par le bouclier tarifaire.
Leur résidence fait partie des constructions "tout électrique" érigées dans les années 70-80 après le premier choc pétrolier de 1973. Par conséquent, leur compteur électrique dépasse la puissance de 36 kilovolts-ampère (kVa). En dessous, les particuliers bénéficient d'une hausse maximale de 15% du prix de l'électricité.
"On se retrouve dans une situation aberrante où on nous considère comme une PMI-PME !", peste Michel Vassali, copropriétaire à Livry-Gargan, également confronté à cette spécificité. "On veut être traité comme n'importe quel particulier, on n'a rien à vendre, on ne récupère pas de TVA. Notre puissance électrique sert à nous chauffer, à éclairer les couloirs ou à utiliser l'ascenseur", explique cet ancien dessinateur industriel.
"Il y a une violation manifeste du principe d'égalité", estime le député de Seine-Saint-Denis LFI Jérôme Legavre qui a identifié dans sa circonscription trois copropriétés "matériellement incapables de payer leurs factures".
Sollicité par l'AFP, le gestionnaire du réseau de distribution d'électricité Enedis n'était pas en mesure de déterminer le nombre de copropriétés privées dans ce cas de figure en France.
"Caisses vides"
A La Renardière, EDF a bien proposé un échelonnement de l'arriéré sur six mensualités, représentant plus de 30.000 euros par mois. Mais "la copropriété n'a pas les fonds", confie, fébrile, Martine Blanc de Lanaute, présidente du conseil syndical, qui recueille quotidiennement les angoisses de ses voisins, issus pour la plupart de la classe moyenne.
"La catastrophe va arriver au printemps avec les Assemblées générales", alerte Jean-Marc Rivet, qui gère deux des trois copropriétés. "Les gens vont découvrir les comptes de 2022 qui seront tous en dépassement avec une régulation immédiate des charges puis ils vont refuser de voter les budgets rectificatifs de 2023", assure-t-il.
Désormais les syndics ne traitent que les urgences et n'envisagent plus de travaux de rénovation.
"Plus aucun bien ne se vend dans ces trois copropriétés, fleurons en Seine-Saint-Denis qui risquent de se retrouver dans une situation qu'on connaît trop bien dans ce département de copropriétés dégradées", regrette l'élu.
Ces logements représentent plus de 15% du parc locatif privé et mettent en danger quelque 80.000 personnes, deux fois plus que la moyenne nationale, selon l'estimation de la préfecture.
A la résidence des Jardins de la Garenne, à Livry-Gargan, "des veuves ne touchent que la pension de réversion de leur mari", détaille Michel Vassali, propriétaire d'un joli 100 m2 depuis 1977. "On a des craintes de non paiement des charges surtout qu'il n'y a pas que l'électricité qui augmente", s'alarme le copropriétaire qui constate "un appauvrissement".
Pour soulager les finances de l'immeuble, il s'occupe des menus travaux. Le ravalement a été repoussé sine die. "Les gens sont tombés de l'armoire quand on extrapolé les chiffres des prochaines charges, multipliées par trois", explique l'énergique retraité qui consacre ses journées à tenter d'obtenir auprès de son fournisseur d'énergie "le prix réel des factures". Le reliquat de l'électricité s'élève à 135.000 euros, de quoi donner le tournis.
Face à la gronde, notamment des bailleurs sociaux, un bouclier tarifaire "collectif" a été mis en place en décembre pour les copropriétés chauffés collectivement à l'électricité.
Des retraités de Seine-Saint-Denis ont tenté de décrypter les décrets. "On arrive à des prix deux fois supérieurs au tarif réglementé", indique Martine Blanc de Lanaute qui espère obtenir "l'application du bouclier tarifaire des particuliers de façon à ce que l'ardoise de près de 300.000 euros s'éteigne d'elle-même".
Dans le cas contraire, "les caisses sont vides", avertit cette habitante.