Depuis plus d'un mois, la salle des procès importants du tribunal judiciaire de la deuxième ville de France revit ce drame du logement indigne de 2018, qui "hante toujours" les différentes parties, selon leurs mots unanimes.
"Aujourd'hui, c'est le dernier jour. On a beaucoup travaillé, c'est six ans de nos vies. Nous, on a fini notre travail, maintenant c'est plus nous, c'est au procureur", confie Kaouther Ben Mohamed, une des figures de la lutte contre ce fléau du mal-logement, fondatrice de "Marseille en colère".
Elle a les larmes aux yeux comme beaucoup dans la salle alors qu'elle se précipite sur Me Stéphanie Spiteri pour lui demander une copie de sa plaidoirie.
L'avocate venait de raconter comment un policier avait posé longuement sa main sur le bras d'une mère, sans un mot, pour lui faire comprendre que son fils, Fabien Lavieille, était décédé sous les décombres.
Et "le soleil de Marseille ne brillera plus jamais pareil" dans les yeux de cette femme, mais aussi pour tous les Marseillais, poursuit l'avocate.
Face à ces récits mêlés de chagrin et de résilience, les avocats des quelque 90 parties civiles attendent une décision "juste" mais pas pour autant "exemplaire".
Pour Me Brice Grazzini, les prévenus ne constituent pas "une association de malfaiteurs" comme Marseille a tant l'habitude d'en voir dans le narcobanditisme. Mais "une association d'imprudents et de négligents". Et l'avocat, qui défend notamment les familles de trois des victimes, s'arrête méthodiquement sur chacune des 16 personnes, physiques ou morales, poursuivies.
Adjoint de Jean-Claude Gaudin, le maire de droite l'époque, chargé de la prévention et de la gestion des risques urbains, Julien Ruas a commis pour lui "une faute de paresse"; l'architecte Richard Carta, qui a expertisé l'immeuble moins de trois semaines avant son effondrement, une "faute d'orgueil"; le syndic "une faute de gourmandise" car il avait trop de copropriétés à gérer et les copropriétaires une "faute de cupidité": surtout "dépenser le moins possible".
"Défilé pathétique"
Les garde-fous ont sauté un à un car "ils se sont détournés de leurs obligations de bailleur, d'expert, de copropriétaire, de syndic, de décideur public" et "se sont enfermés dans le déni, refusant même pour certains d'affronter des victimes dans cette salle".
Sur les bancs des parties civiles, on entend Linda, la cousine de Chérif Zemar, tué dans le drame, reprendre sa respiration quand l'avocat rappelle que le seul bien qu'ils aient récupéré dans les décombres est un briquet "I Love Marseille".
Les fils d'Ouloume Saïd Hassani, morte elle aussi sous les décombres ce 5 novembre 2018, restent stoïques. El Amine, qui avait huit ans lorsqu'il a perdu sa mère, s'enveloppe dans sa grosse doudoune. Ce sont leurs propriétaires, cités à comparaître par Me Grazzini, qui risquent le plus gros : 10 ans d'emprisonnement pour "soumission de personnes vulnérables à des conditions d'hébergement indignes". Car il y avait un enfant dans ce logement insalubre loué 460 euros par mois à cette famille comorienne.
Pour Me Spiteri, le procès a été "un défilé pathétique de +je ne sais pas+, +je n'ai pas vu+". Personne ne bouge. Tant pis pour l'humanité, tant pis pour la compassion, tant pis pour l'honnêteté".
"De peur de voir leur culpabilité actée, aucun ne s'est excusé" et Léo, son client, dont le père a été tué, devra se débrouiller avec ça.
En quittant la salle mardi, il y avait une forme de soulagement, avocats et familles revenant sur les audiences, se congratulant mutuellement de la force et de la complémentarité des mots prononcés. L'un dit se sentir plus léger après la pression d'un dossier qui a marqué l'Histoire de Marseille.
Après une pause mercredi, le procureur Michel Sastre prendra la parole jeudi matin pour des réquisitions très attendues.