La trajectoire de ralentissement observée depuis plusieurs mois se confirme avec une hausse deux fois moins rapide sur 12 mois : + 17% sur 2024 contre + 36% sur 2023. Une décélération d’autant plus marquée au 4ème trimestre (+10%). La situation reste particulièrement tendue chez les structures de plus de 50 salariés avec une hausse de +30% (553) des procédures sur 2024. On observe encore des taux records chez les PME-ETI dans la manufacture (+75%), le commerce de gros (+76%) ou le transport (+59%). Dans ce contexte, le nombre d’emplois menacés sur 2024 augmente et s’inscrit à 256.000 sur l’année (vs. 245.000 en 2023).
Les signaux positifs et les bonnes surprises de ce 4e trimestre
- Les jeunes entreprises de moins de 3 ans résistent (+5,5%)
- Le bâtiment tient le coup, porté par le gros œuvre avec la maçonnerie (+3%)
- L’agroalimentaire performe, en particulier la boulangerie (+3%)
- Le commerce de détail passe dans le vert grâce notamment à l’alimentaire (-11%), l’optique (-22%) et les pharmacies (-14%)
- Les régions Corse, Bourgogne-Franche-Comté et Provence-Alpes-Côte-d’Azur basculent dans le vert
Sur le front des difficultés de ce 4e trimestre
- Record historique des procédures
- Une situation toujours difficile pour les PME-ETI de plus de 50 salariés (+30% en 2024) en particulier dans l’industrie manufacturière, le commerce de gros et le transport
- Le nombre d’emplois menacés atteint 256.000
- L’immobilier toujours sous tension, le social souffre (+113% dans l’action sociale) et les coiffeurs retombent (+26%)
- Les régions Normandie, Ile-de-France, Nouvelle-Aquitaine et Auvergne-Rhône-Alpes dans le rouge
Pour Thierry Millon, Directeur des études Altares : « Le contexte de flou politique et budgétaire, conjugué à une conjoncture économique morose, trouble la visibilité des affaires et invite à l’attentisme tant du côté des entreprises que des Français. Une stagnation générale mortifère pour les structures les plus faibles financièrement ou trop endettées, notamment celles qui n’ont pas encore pu tourner la page Covid. A ce titre, les PGE demeurent un point d’attention. Selon Bpifrance, 38,4 milliards € restaient à rembourser en décembre sur les 145 milliards accordés. L’essentiel, soit 37 milliards €, est porté par les TPE-PME. Fait rassurant, «seules» 4% d’entre elles craindraient de ne pas pouvoir rembourser leur prêt (1). Autre facteur de remontée des défaillances, la reprise du recouvrement forcé des URSSAF (2). Parmi les redressements et liquidations judiciaires prononcées cette année, la part des entreprises qui avaient fait l’objet d’une assignation URSSAF dans les 6 mois précédents augmente (25% des RJ, 17% des LJ au 3è trimestre). Ces taux restent cependant bien inférieurs à la situation pré Covid. Au-delà des procédures ouvertes cette année, c’est le transfert du risque vers les partenaires commerciaux qui doit être surveillé. Les défauts de 2024 consolidaient plus de 30 milliards de chiffre d’affaires, une perte de revenu que les fournisseurs devront aller chercher ailleurs. Pire encore, ces défauts portent des impayés lourds. Sur la seule population des sociétés commerciales défaillantes ayant publié leurs comptes 2023 (10 milliards € de CA agrégé), la dette vis-à-vis des fournisseurs pesait 2 milliards € auxquels s’ajoutaient 1 milliard € de dettes fiscales et sociales et 3 milliards € auprès des établissements de crédit. Dans ce contexte, le risque d’effet domino est élevé et la faible croissance attendue par l’exécutif pour 2025 (0.9%) augure mal d’un reflux des défauts en particulier chez les TPE-PME. »
18.709 défaillances enregistrées au 4ème trimestre, un record mais aussi sans doute un plafond
Au 31 décembre 2024, un pic de 18.709 ouvertures de procédures collectives sur les 3 derniers mois est atteint. Un record absolu pour un 4ème trimestre. Seul le 1er trimestre 2015 avait présenté un tel niveau (18.750). Sur l’ensemble de l’année, nous atteignons un nouveau record de 67.830 défauts.
Néanmoins : 6.700 procédures ouvertes en octobre, 6.220 en novembre et 5.789 en décembre : la fin d’année actionne le frein moteur permettant de contenir la hausse à +10% sur le trimestre. Un taux au plus bas depuis trois ans, loin des +40% auxquels notre économie a dû faire face en moyenne trimestrielle jusqu’en début 2024.
Cette décélération de fin d’année permet de retomber sous les 20% (17%) sur 12 mois. Dans ces conditions, il apparaît probable que le dernier trimestre 2024 ait atteint un plafond.
Nombre de défaillances d’entreprises par type de procédure par année
Les ouvertures de redressement judiciaire en hausse plus rapide
Les procédures de redressement judiciaire (RJ) augmentent le plus vite avec 19.641 jugements prononcés en 2024, soit 29,4% de plus sur un an. Désormais, près de 30% des jugements sont des RJ, un taux conforme au passé après l’intermède Covid sous 25%. Le retour des assignations URSSAF (25% des RJ au T2 et 26% au T3) participe à cette hausse. Au cours du dernier trimestre, le nombre de RJ augmente un peu moins vite (+13,8% ; 5.532).
La procédure de sauvegarde est quant à elle davantage demandée (1.549 en 2024 contre 1.537 en 2023) mais représente toujours à peine plus de 2% de l’ensemble des jugements.
Plus des deux tiers (68%) des jugements prononcés concernent des liquidations judiciaires. Un taux redevenu conforme aux habitudes alors que la parenthèse Covid avait porté ce taux au-delà de 75%. Sur 2024, 46.640 (+13%) LJ ont été enregistrées dont 12.768 au cours des trois derniers mois. Ce trimestre affiche une augmentation qui retombe sous les 10%.
La procédure de traitement de sortie de crise, instituée en 2021 et jusqu’à juin 2023 pour permettre aux entreprises de moins de 20 salariés de faire face aux conséquences économiques du contexte Covid, a été réactivée par la loi d'orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027. Ceci pour deux ans à compter du 22 novembre 2023 jusqu’au 21 novembre 2025 inclus. Ce dispositif reste cependant peu utilisé. 100 ouvertures ont été prononcées en 2024 contre 76 en 2023 sur six mois.
La vulnérabilité des PME-ETI ne faiblit pas et pèse lourd sur le nombre d’emplois menacés
553 PME-ETI de plus de 50 salariés ont défailli en 2024, un nombre en hausse de 30%, et avec un rythme qui reste rapide au 4ème trimestre (+26% ; 141). Dans ces conditions, le nombre d’emplois menacés atteint 256.000, soit 11.000 de plus sur un an.
19% (107) de ces PME-ETI sont des manufacturiers qui accusent une augmentation des défauts de 75% sur l’année. La dégradation est du même ordre (+76%) dans le commerce interentreprises. Les transporteurs routiers de marchandises de plus de 50 salariés enregistrent une hausse à peine moindre (+59%).
Le quatrième trimestre n’inverse pas la tendance avec des défaillances deux fois plus nombreuses qu’en fin 2023 dans le transport routier ou le commerce interentreprises et en augmentation d’encore 60% dans la manufacture.
Les jeunes entreprises continuent de bien résister
Les entreprises créées depuis moins de trois ans sont encore celles qui présentent les meilleures évolutions sur l’année (+8%) et mieux encore, sur le dernier trimestre (+5%).
Jeunes ou anciennes, les sociétés commerciales concentrent 85% des défaillances et enregistrent une augmentation de 16% du nombre d’ouvertures de procédures. Un taux qui grimpe à 24% sur le seul périmètre des sociétés par actions simplifiées, une forme plébiscitée par les créateurs. A noter que le rythme de créations d’entreprises de formes sociétaires sur les 11 premiers mois est de +6% selon les chiffres de l’INSEE (259.747 vs 244.133 – données brutes calcul Altares).
Les défaillances d’entreprises du T4 stables ou en baisse en B2C et en hausse en B2B
CONSTRUCTION : le bâtiment a tenu, les agences retrouvent le sourire
Le secteur de la construction concentre un gros quart des procédures (27%) des faillites et compte 5.111 défauts dont près de 4.000 dans les seules activités du bâtiment. 3.988 entrepreneurs ont obtenu l’ouverture d’une procédure : c’est 8,6% de plus sur un an, soit un rythme inférieur à la moyenne globale du trimestre (+10%). Le chiffre encourageant de cette fin d’année est porté par le gros œuvre dont les jugements n’ont progressé que de 3% (+3% en maçonnerie et +8% en maison individuelle).
Le second œuvre (+12%) et les travaux publics (+16%), peinent en revanche davantage. L’immobilier reste lourdement affecté (+36,5%), en particulier la promotion immobilière (+266%) du fait du défaut d’un groupe lyonnais, tandis que souffle un vent de retour d’optimisme pour les agences immobilières (-10%).
COMMERCE : le détail passe au vert, le gros voit rouge
Le commerce de détail, autre poids lourd des défaillances représentant un défaut sur dix (2.094), passe enfin dans le vert (-0.6%). Les tendances sont même très nettement positives dans l’alimentaire (-11%), le multi-rayons (-14%) c’est à dire épiceries et superettes, l’optique (-22%), les pharmacies (-14%), mais aussi l’habillement (-5%). A l’inverse, le meuble ne parvient toujours pas à redresser la barre (+54%).
Le commerce et la réparation de véhicules résiste (+8%) tiré par les garagistes (+5%) alors que la vente de véhicules automobile (+12%) reste sous tension.
La situation est cependant plus difficile pour les grossistes (+17,5%) dans toutes les activités de la branche.
INDUSTRIE : la manufacture peine
Les défaillances dans l’industrie (1.132) augmentent deux fois moins vite (+4,9%) que la moyenne (+10%). Cette performance est portée par l’agroalimentaire où la boulangerie est reine (+3%). La manufacture est en ligne avec la tendance globale (+9.3%) en dépit des tensions dans la fabrication de vêtements de dessus (+18%), de structures métalliques (+19%) ou de portes et fenêtres en métal (+65%), de récupération de déchets (+100%) ou de réparation d’équipements mécaniques (+86%). Notons que l’imprimerie repasse dans le vert (-3%).
SERVICES : le B2B est plus affecté mais dans le B2C les coiffeurs ont une nouvelle alerte
Dans les services aux entreprises (2.563), la hausse (+14,6%) est plus rapide. La tendance est encore forte dans le conseil pour les affaires (+20%), les activités liées aux systèmes de sécurité
(+56%), le nettoyage des bâtiments (+21%) ou encore l’organisation de foires et salons (+29%). L’évolution est toutefois favorable pour les agences de publicité (-16%).
Dans les activités d’information et communication, les hausses sont marquées dans les activités informatiques (+23%), particulièrement dans la programmation (+20%), le conseil (+40%) ou le traitement de données (+75%).
Pour les services aux particuliers, la mauvaise surprise vient des coiffeurs. 360 ont défailli, c’est 26% de plus par rapport au T4 2023. Les soins de beauté s’en sortent beaucoup mieux (+1%).
TRANSPORTS : le risque reste élevé
Près de 900 transporteurs ont défailli sur cette fin d’année, un nombre en forte hausse (+23,6%).
La tendance est cependant un peu moins lourde pour le transport routier de marchandises (+13%) tiré par le fret de proximité (+11%) tandis que l’interurbain (+18%) est davantage sous tension. Dans les autres activités de transport, l’orientation est donnée par les taxis (+38%) dont près de 200 ont défailli sur cette seule fin d’année.
Un territoire très disparate en cette fin d’année
Les deux régions poids lourd de l’économie française sont dans le rouge
La Normandie enregistre la pire tendance (+31%) régionale du trimestre; 865 entreprises ont défailli. En année pleine, La Normandie est désormais tout proche (2.828) de son plus haut niveau de 2015 (2.865).
L’Ile-de-France est également mal orientée (+18%) avec encore près de 4.500 procédures sur les trois derniers mois, propulsant la première région française à un niveau record à 16.151.
Nouvelle Aquitaine (+17%) enregistre 1.730 défaillances sur le 4e trimestre et dépasse pour la première fois les 6.000 jugements sur l’année (6.173).
Auvergne-Rhône-Alpes est assurément la moins inconfortable des quatre. Le très mauvais chiffre trimestriel (+14%) est gonflé par la procédure ouverte sur un important groupe immobilier et ses centaines de filiales. Sans ce dernier, la tendance aurait été proche de la stabilité. La barre des 8.000 défaillances a été franchie (8.077) en 2024 et porte la région au-delà de son précédent record de 2009 tout juste sous 7.900.
A l’inverse, trois régions s’améliorent
En tête, la Corse dont les défaillances reculent de 16% en comparaison d’un 4e trimestre 2023 qui avait été très lourd. La région retombe ainsi à son niveau de 2019 (104). Sur l’année, 417 procédures ont été ouvertes un niveau tout proche de celui de 2017 (419).
Bourgogne-Franche-Comté a également le privilège d’avoir pu réduire le nombre de défauts en fin d’année (-5%). Un peu moins de 560 procédures ont été ouvertes sur les trois derniers mois, portant à 2.234 le nombre annuel, un chiffre inférieur aux records proches de 2.500 des périodes de la crise financière puis celle de la dette en zone euro.
En Provence-Alpes-Côte-d’Azur, les défaillances sont stabilisées (0%) à près de 1.760 sur les trois derniers mois. Cela amène la région au-delà des 6.800 défauts annuels, un chiffre au plus haut depuis près de 30 ans (6.900 en 1997).
Les autres régions tentent de s’en sortir
Parmi elles, le Grand-Est tout proche de l’équilibre (+2%) maintenant ainsi le nombre de défauts du trimestre sous les 1.200. Sur l’année, la barre des 4.500 est juste franchie mais la région n’établit pas de record, 4.562 défauts avaient été enregistrés en 2016.
Bretagne et Centre-Val-de-Loire contiennent la hausse sous les 4% en fin d’année pour un peu plus de 600 procédures chacune. Sur l’ensemble de l’année, la Bretagne affiche 2.521 jugements et Centre-Val-de-Loire 2.235, l’une comme l’autre établissant un plus haut depuis 2015 à respectivement 2.546 et 2.346.
Les Hauts-de-France comptent près de 1.400 défaillances d’entreprises un nombre en augmentation de moins de 5% (4,7%). Sur l’année, la région se rapproche de 5.000 défauts (4.927), un nombre qu’elle avait dépassé pour la dernière fois en 2014 (5.061).
L’Occitanie (+6%) est également nettement sous la moyenne globale (+10%) comptant moins de 1.700 procédures sur le 4e trimestre. Sur l’année, la région repasse juste au-dessus de 6.000 défauts (6.023), un nombre quasi identique à celui de 2015.
Pays de la Loire enregistre une hausse des défaillances de 8% en fin d’année avec à peine plus de 700 procédures. Sur 12 mois la région se maintient sous les 3.000 procédures (2.727). Une limite qu’elle n’a plus franchie depuis 2015 (3.121).
En Outre-Mer, la tendance globale du 4e trimestre (+6%) masque des disparités sensibles. Ainsi, Guadeloupe (-4%), Guyane (-14%) et Martinique (-5%) sont dans le vert tandis que Mayotte (+15%) et la Réunion (+17%) sont au-dessus de la moyenne française (+10%). Pour autant, Guyane et Mayotte comptent moins de 20 défauts chacune sur trois mois. En année pleine, Guadeloupe est proche de 360 défauts comme en 2011 et la Martinique, bien orientée, comptabilise à peine plus de 450 procédures contre plus de 480 en 2023. La Réunion dépasse pour la première fois le millier de jugements annuels (1.153). Guyane (66) et Mayotte (49) comptent beaucoup moins qu’une centaine de procédures à l’année.
Pour Thierry Millon : « Alors que l’incertitude sur le commerce mondial et le risque géopolitique menacent la croissance en 2025, l’économie française marque le pas. La créativité sera particulièrement nécessaire aux directions financières pour concilier croissance et restrictions budgétaires. Si les grandes sociétés sont structurées pour faire face à ces défis, les petites entreprises sont en revanche particulièrement vulnérables. Ce dernier trimestre le confirme une fois encore, les trois quarts des défaillances concernent des entités de moins de 3 salariés. L’INSEE révélait également début 2025 que la fragilité bancaire(3)des TPE et PME était désormais (en mars 2024) supérieure à son niveau d’avant-crise sanitaire. Dans ces conditions, il peut s’avérer difficile d’être en capacité de payer toutes ses factures à l’heure. Altares le constate chaque mois, les retards de paiement augmentent; +1,5 jour entre janvier et décembre 2024 qui termine à quasiment 14 jours. Un nombre record que nous n’avions plus vu depuis la crise sanitaire. Dans ces conditions, si on peut envisager d’être sur le point de toucher un pic de défaillances, on peut aussi craindre qu’il s’agisse d’un plateau, et donc d’un risque commercial, avec lequel il va falloir composer encore plusieurs mois. »
Enquête de conjoncture Bpifrance Le Lab auprès des TPE-PME (1) : https://presse.bpifrance.fr/bpifrance-le-lab-presente-la-80eme-enquete-de-conjoncture-aupres-des-tpe-pme-une-enquete-sur-la-situation-des-tpe-pme-a-fin-2024-et-leurs-perspectives-pour-2025-dans-un-contexte-dincertitude-politiqu
URSSAF Baromètre économique n°171 – 20 décembre 2024 (2) : https://www.urssaf.org/accueil/statistiques/nos-etudes-et-analyses/notre-publication-mensuelle/barometres-2024/indicateurs-urssaf-fin-nov2024.html
Début 2024, la fragilité bancaire des TPE et PME supérieure à son niveau d’avant-crise sanitaire – Insee Analyses • n° 102 • Janvier 2025 (3) : https://www.insee.fr/fr/statistiques/8316145
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