Le modèle français des centres commerciaux connaîtrait-il la crise ? A première vue, difficile à croire. L’Hexagone compte en effet 746 unités accueillant 3,2 milliards de visiteurs chaque année et générant un chiffre d’affaires global de 118 milliards d’euros (25% de l’activité totale du commerce de détail). La France est aussi le premier pays d’Europe de l’Ouest en termes d’ouverture de nouvelles unités. Et cette dynamique de construction ne semble pas prête de s’inverser, avec 44 nouveaux projets qui, déjà sur les rails, devraient voir le jour entre 2015 et 2020. Sans oublier les nombreuses rénovations également programmées.
Mais ces chiffres masquent une réalité plus sombre pour les centres commerciaux. Symbole d’une société de consommation de masse aujourd’hui largement récusée, le modèle traditionnel des centres commerciaux est contraint d’évoluer, sous peine de péricliter avec l’érosion de la fréquentation.
La question de la redéfinition du modèle économique devient d’autant plus centrale que la valeur financière des centres commerciaux est totalement décorrélée de leur valeur économique. Affichant une rentabilité élevée, les centres commerciaux attirent les convoitises des foncières, alors que les performances des enseignes sont en perte de vitesse. Ainsi, la surface commerciale des centres a progressé de 60% ces 15 dernières années contre une hausse de seulement 36% pour la consommation sur la période. Les enseignes sont donc confrontées à une équation de plus en plus compliquée à résoudre, prises en étau entre des loyers élevés et un chiffre d’affaires en baisse.
L’obsolescence programmée du modèle traditionnel
Confrontés à une mutation sans précédent de leur environnement de marché, les gestionnaires de centres commerciaux doivent se préparer à une transformation progressive, mais inexorable, du modèle économique dominant. Les évolutions sociodémographiques font en effet la part belle aux commerces de proximité : les déplacements en voiture se limitent, sous l’effet conjugué du vieillissement de la population et de la réduction de la taille des foyers.
Les consommateurs se muent également en « consommacteurs » désireux de redonner du sens à l’achat en adoptant des comportements plus responsables. Ainsi, la crise du centre commercial est devenue le symbole d’une remise en cause de la consommation de masse, un type de consommation qui ne colle plus aux aspirations d’une société qui cherche à consommer différemment et plus équitablement.
Parallèlement, la révolution numérique redessine les parcours d’achat de ménages de plus en plus connectés. Ces derniers mixent commerce en ligne et commerce physique, en prenant le meilleur des deux mondes. Face à un consommateur connecté, la possibilité de naviguer sans couture d’un canal à l’autre doit être totalement intégrée dans les modèles des centres commerciaux.
Aujourd’hui très en retard dans l’utilisation des nouvelles technologies numériques, les centres commerciaux devront investir dans ce domaine pour assurer un positionnement basé sur l’expérience client. L’intégration des stratégies omni-canal, selon les logiques web to store, web in store et store to web, est nécessaire pour fluidifier le parcours d’achat du visiteur-consommateur. L’accentuation de la dimension expérientielle du centre commercial passera également par la digitalisation des points de vente, à travers la mise à disposition de bornes interactives ou encore de tablettes tactiles. Sans oublier l’utilisation des médias sociaux et la collecte des data. Le digital est donc une formidable opportunité de renouvellement pour les enseignes, qui pourront en outre générer de nouveaux revenus par la monétisation des données récoltées.
Se réinventer autour des loisirs
A force de dupliquer une recette qui a marché pendant des décennies, les gestionnaires de centres commerciaux ont perdu de vue l’essentiel, à savoir le travail sur la pertinence et la différenciation stratégique de leur offre. Pour attirer la clientèle, le centre commercial doit se poser comme lieu de divertissement, et pas seulement de consommation. A titre d’illustration, Vill’up (Paris) entend faire de son simulateur de chute libre iFly la locomotive de son centre. Le centre Europa City (Gonesse) sera quant à lui doté d’une salle de spectacle, d’un cirque, d’une ferme avec cueillette, d’un parc aquatique et d’une piste de ski.
Pour que ce changement soit couronné de succès, les centres commerciaux doivent adopter un positionnement original, cohérent et identifiable. Cela passe par la définition d’une marque forte incarnant une différence, à l’image du centre commercial Polygone Riviera (Cagnes-sur-Mer), qui entend devenir un lieu de promenade culturelle et de loisir premium. Cette stratégie de marque gagnerait également à être commune à plusieurs centres commerciaux, sur le modèle développé par Unibail-Rodamco. La foncière a ainsi lancé en 2014 une campagne de communication baptisée « Unexpected Shopping », commune à 24 centres commerciaux dans 6 pays en Europe.
Les foncières au centre de nouveaux écosystèmes
Dans le cadre de ces bouleversements stratégiques, les foncières doivent s’imposer comme des chefs d’orchestres, chargés d’établir une offre harmonieuse entre des acteurs issus d’horizons variés.
Leaders de ces écosystèmes, les foncières sont les entreprises pivots qui sélectionnent et centralisent l’ensemble des ressources essentielles à la structuration du réseau. En définitive, la foncière est la garante de la cohérence globale du centre commercial et joue donc le rôle de planificateur stratégique.
Dans de tels écosystèmes d’affaires, les logiques concurrentielles traditionnelles s’estompent au bénéfice d’interactions plus vertueuses entre l’ensemble des acteurs. La constitution d’un réseau de valeur innovant s’appuie donc sur la capacité de la foncière à stimuler des relations étroites de co-création et de coopétition entre les différentes parties prenantes. Au sein des centres commerciaux, la collaboration est de rigueur puisque les contributeurs ont justement été choisis pour leur complémentarité.
Mieux, la foncière peut favoriser des processus co-créatifs où le savoir et les compétences des partenaires sont exploités pour augmenter la valeur de l’offre. Cette co-création peut par exemple se matérialiser au travers de synergies commerciales, de prestations de services complémentaires ou encore d’opérations événementielles et de promotion conjointes entre opérateurs. La coopétition est également susceptible d’émerger entre les centres si ceux-ci se démarquent les uns des autres grâce à un positionnement unique et harmonieux.
A l’évidence, tous les acteurs ne seront pas à la hauteur des transformations et des investissements qu’implique le renouvellement de leur modèle d’affaires. Les grands ensembles sont évidemment les plus disposés à tirer leur épingle du jeu, tandis que la situation est plus incertaine pour les centres de petite et moyenne taille qui n’ont pas une capacité financière suffisante pour se réinventer.
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