A quelques mètres des engins de chantier qui labourent le sol, dans le 13e arrondissement (sud de la capitale), l'édile Anne Hidalgo savoure sa victoire, en ce nuageux matin de mai.
Venue jeudi jeter la première pelletée de terre des futures tours Duo dessinées par l'architecte Jean Nouvel, lors d'une cérémonie, la maire de Paris s'est souvenue de la "controverse" et du "débat long, violent" de l'année 2008.
"On se demandait: Avons-nous le droit d'imaginer des architectures contemporaines à Paris ?", rapporte celle qui n'était alors qu'adjointe à l'urbanisme de son prédécesseur, Bertrand Delanoë.
"Je ne suis pas une fanatique des tours, mais il fallait se donner la liberté de lever le tabou de la hauteur pour créer la ville du 21e siècle. Ce combat, on l'a mené et on l'a gagné".
L'ère des controverses semble en effet passée, puisque trois projets de tours de 160 à 180 mètres sont désormais en cours dans la capitale, dont Duo - construit par Ivanhoé Cambridge, filiale de la Caisse de dépôt et placement du Québec - qui verra le jour en 2021, et deviendra le siège de la banque Natixis.
Quasi terminé, lui, le nouveau palais de justice dessiné par l'architecte de Beaubourg, Renzo Piano, sera inauguré au deuxième trimestre 2018 au sein du quartier des Batignolles, dans le nord-ouest.
Accueillant le tribunal de grande instance (TGI) et la police judiciaire transférée du fameux 36, quai des Orfèvres, il est avec ses 160 m, le plus haut édifice de Paris après la tour Montparnasse, monolithe brun de 210 m construit il y a 43 ans, qui s'offrira bientôt un lifting.
Autre tour dont le permis de construire a été délivré il y a "environ une semaine", a annoncé Mme Hidalgo: Triangle, dessinée par le cabinet d'architectes suisses Herzog et de Meuron, avec ses 180 m de haut, a suscité l'opposition car elle était à l'origine exclusivement dédiée aux bureaux.
En intégrant un hôtel quatre étoiles et un équipement culturel, le groupe immobilier Unibail-Rodamco a décroché l'avis favorable du Conseil de Paris, pour la livrer vers 2022.
Parallélépipèdes clonés
Pour l'architecte Jean Nouvel, "une tour est acceptée à partir du moment où on comprend que c'est un bâtiment avec une humanité. Aujourd'hui la plupart des tours sont parachutées, ce sont des parallélépipèdes clonés", dit-il à l'AFP.
Mieux tolérées car au départ dépourvues de voisins dans un quartier en pleine mutation, les tours Duo "représenteront un témoignage architectural et esthétique de leur époque". "C'est par ce caractère", espère-t-il, "qu'elles ont une chance d'être aimées un jour à Paris".
Surplombant boulevard périphérique et voies ferrés, ces tours asymétriques, en partie penchées "pour capter les reflets des voitures et des trains, de jour comme de nuit", accueilleront l'une 85.000 m2 de bureaux et l'autre, 30.000 m2 de commerces et un hôtel-restaurant.
"Nous sommes ici dans un quartier où le futur se construit", affirme le maire du 13e arrondissement Jérôme Coumet, qui veut "laisser s'exprimer les architectes, l'innovation, les artistes".
Mais d'irréductibles amoureux du patrimoine comme Patrice Maire, président de l'association Monts 14 et auteur de plusieurs recours infructueux, dénoncent "l'incongruité" visuelle de ces édifices.
"Depuis l'Arc de Triomphe, les tours Duo dépasseront le dôme du Panthéon, ce qui va déclasser le site. Quant à la tour Triangle, elle gâchera la vue depuis le Sacré-Coeur, en direction des Invalides", dit-il à l'AFP.
Et ce n'est pas fini: sur la ZAC (zone d'aménagement concertée) de Bercy-Charenton, dans le 12e arrondissement un projet comprenant d'autres tours de 180 m de haut au maximum, a été soumis à l'enquête publique l'an dernier.